Remarque: classement des messages

Les messages qui figurent sur la page d'accueil sont classés dans l'ordre inverse de la chronologie, c'est-à-dire les plus récents en haut de la page et les plus anciens en dessous. Leur ordre est chronologique dans les deux onglets concernant la mission en Haïti et ma première année au Tchad. Dans ces deux parties, il est possible de lire les textes à l'écran mais aussi de les télécharger en format PDF...

Tchad

Télécharger ma chronique au fil des jours mes deux années au Tchad au service de la paix en cliquant sur ce lien: Au Tchad au service de la paix!

Pour ceux et celles qui ont moins de temps, voici quelques articles dans lesquels je synthétise mon action pour différents publics...  au format pdf à télécharger:
Formation de Bâtisseurs de paix au Tchad
Quand des jeunes apprennent à être "Bâtisseurs de paix"
Brèves nouvelles de N'Djaména


Première année au Tchad : Septembre 2010-Juin 2011

Bientôt le départ

Les jours déroulent à grande vitesse entre visites aux communautés, rencontres familiales et préparatifs divers. Je pensais pouvoir disposer de temps m'instruire sur le Tchad avant d'atterrir, mais j'ai davantage centré mes journées sur le présent des rencontres. Je n'ai pu parcourir que quelques numéros de "Tchad et Culture", une revue de qualité qui comporte une réflexion critique et constructive que j'ai trouvée très intéressante. J'ai pu aller voir "Des hommes et des dieux", un film émouvant et un témoignage humain très fort. J'avais été passionnée par le livre de John Kiser, "Passion pour l'Algérie", et je me sens très en concordance avec la théologie et la spiritualité de grande ouverture de Christian de Chergé telle qu'elle transparait dans les livres que Christian Salenson lui a consacré : "Une théologie de l'espérance" et "Prier 15 jours avec Christian de Chergé".
Je prends l'avion mardi 14 septembre en début d'après-midi et, après une escale de 5h à Tripoli (Libye) j'arriverai à N'Djaména dans la nuit, à 0h45, le 15 septembre. Je continuerai à donner des nouvelles sur ce blog. Mon expérience d'expatriation m'a appris qu'il est plus facile de parler d'un pays lorsqu'on y arrive qu'après qu'on y ait séjourné plusieurs années. En Côte d'Ivoire courait une plaisanterie selon laquelle une personne qui reste un mois dans un pays écrit un livre entier à son sujet, si elle y reste un an, elle écrit un article et au delà elle ne s'exprime plus guère... tellement la conscience de la complexité augmente à mesure que la connaissance s’accroît. Dans les premiers temps, je n'écrirais sans doute pas de livre, ni d'article mais plutôt des chroniques faisant part de mes observations et de mes actions...

Mercredi 15 Septembre : Bien arrivée !

Je suis arrivée ce matin à 0h15 à N'Djaména avec une demi heure d'avance, la demi heure prise à Tripoli d’où l'avion s'est envolé avant l'heure ! Un voyage excellent, en compagnie d'une sœur Xavière, Brigitte qui travaille au CCU, avec Claire Jean, une sfx que je rejoins ici. J'étais, dans les deux tronçons du vol, auprès d'un hublot qui m'a permis de regarder le paysage entre Paris et Tripoli (survol de la France, de la Sardaigne, d'un petit bout de Tunisie et des alentours de Tripoli (Lybie), ville plantée au bord de la mer, dans le désert... Paysage superbe). Entre Tripoli et N'Djaména, la nuit noire m'a seulement permis d'observer que le désert est peu peuplé!!! Aucune lumière pendant des centaines de kilomètres... Une fraicheur relative m'a accueillie hier nuit (25°) et demeure ce matin 27° à 7h30. Mais une chaleur fraternelle avec l'accueil de Claire à l'aéroport, avec Pierre pour nous conduire à la maison. Et ce matin, 1° petit déjeuner communautaire, avec Monique qui est partie au Centre Emmanuel pour préparer la rentrée.

Quelques photos du voyage

Ces quelques photos du voyage, à défaut de montrer le Tchad, donnent une idée de la Libye et de Tripoli... Cliquer sur ce lien pour accéder à ces photos

Samedi 18 septembre : quelques flashs

Seulement trois jours que je suis arrivée au Tchad : voici quelques échos de ces premières heures. Il faut dire d'abord que ce qui me saisit avant toute autre chose, c'est la chaleur qui est actuellement bien humide, et me replonge dans les sensations dégoulinantes d'Abidjan et plus récemment d'Haïti. Et dire que chacun évoque pour plus tard des chaleurs bien plus écrasantes dont les Tchadiens eux-mêmes parlent avec accablement !!! Je décide de vivre au jour le jour sans m'affoler par avance… Un autre aspect frappant qui affecte la vie quotidienne provient des coupures fréquentes et durables d'électricité. Hier, à partir de 6h puis toute la journée nous n'avons pas eu de courant ; il est revenu à 1h, ce matin. Avant-hier, journée faste, la coupure n'avait duré que quelques heures, mais avant-hier la coupure avait aussi été durable. Cela a des incidences importantes sur la conservation des aliments : le frigidaire et bien sûr le congélateur ne fonctionnent pas sans électricité : il faut donc faire les courses quotidiennement. C'est Claire qui s'en charge. Les diners aux chandelles (il fait nuit à partir de 18h) présentent un certain charme… en tous cas pour mes débuts ! Par contre, je trouve bien complexe la phase d'endormissement. Après le diner un peu prolongé par les échanges fraternels, la prière du soir, il est à peu près 8h30. Pas de télévision, de distraction… Que faire d'autre que dormir ? Lire avec la lampe frontale attire moustiques et insectes (qui traversent sans difficulté les moustiquaires des fenêtres)… Mais pour dormir il est encore bien tôt et il fait plus de 30°C… Depuis mon arrivée, j'ai expérimenté plusieurs stratagèmes pour apprivoiser la chaleur et les moustiques et espère bien aboutir à entrer dans un sommeil réparateur avant 1h du matin ! Nous envisageons d'installer des plaques solaires sur le toit de la maison. Un double obstacle vient du coût élevé et de la difficulté de trouver un matériel adapté et un technicien fiable. Je visite N'Djaména par petites touches, avec Claire qui me sert de guide et Monique qui donne de précieuses clés. Je prends le temps de parler avec les personnes qu'elles me présentent, d'écouter, de questionner pour découvrir ce qui habite chacun, percevoir et sentir les défis et enjeux du pays, et entrevoir des accents pour ma mission qui va commencer à se préciser dans les jours à venir. Le premier contact est chaleureux, et les visages s'éclairent dès que mes interlocuteurs apprennent que je suis là, non pour une visite express, mais pour plusieurs mois.

Voici 10 jours que je suis arrivée à N’Djaména et je commence à me repérer correctement dans la ville au point de me déplacer seule en voiture, à pied… et - aventure pour moi… - en mobylette : je n’avais jamais utilisé ce véhicule et me suis entraînée 15 minutes la veille de mon départ dans la cour de Sainte Marie de Neuilly ! Heureusement que j’ai un bon équilibre en vélo…
Nous commençons à constituer une petite communauté à 3. J’ai en effet rejoint Monique et Claire et nous arrivons peu à peu à trouver notre rythme. Elles me soutiennent et m’orientent dans ma découverte de N’Djaména et de ses habitants !
J’ai mis à profit ces dix jours pour multiplier les visites de différents lieux intéressants et parler avec les responsables ou animateurs : Centre Emmanuel (soutien scolaire et animation pour collégiens et lycéens) ; CCU (Centre Catholique Universitaire : bibliothèque universitaire et aumônerie catholique) ; Centre Al Mouna (Centre de rencontre entre musulmans et chrétiens qui propose conférences, animations culturelles, possède un secteur édition et dispose d’une bibliothèque en Français et arabe ; CCF (Centre Culturel Français : largement ouvert à tous ceux que la culture intéresse) ; CEFOD (Centre d’études et de formations pour le développement, qui publie, forme et possède aussi une vaste bibliothèque en lien avec son orientation) ; Radio Présence (la radio catholique locale)… J’écoute, observe, capte… J’ai parlé avec plusieurs des sœurs Xavières, engagées dans différents apostolats [EVA (éducation à la Vie et à l’Amour), CCU, aide aux personnes alcooliques] qui m’accueillent très fraternellement. J’ai rencontré aussi Stasia, polonaise, religieuse du sacré Cœur, qui a été deux ans à l’IFHIM et est à N’Djaména depuis l’année dernière. Nous avons été très heureuses de nous rencontrer et aurons peut-être des occasions de collaborer même si elle est déjà très prise et habite dans un autre secteur.
Cette semaine, j’ai aussi pris contact avec un étudiant pour un accompagnement qui devrait être régulier. Au cours de cette première rencontre, j’ai pu vérifier (s’il en était besoin) que la formation humaine intégrale à laquelle j’ai été formée à Montréal m’équipe pour aider et soutenir les jeunes tchadiens sur leur chemin de vie. Elle me donne aussi des outils précieux pour la mission qui s’éclaire peu à peu.
J’ai en effet rencontré l’archevêque de N’Djaména à deux reprises et il m’a précisé les champs dans lesquels il m’envoyait servir. Je serai d’abord chargée à la DIDEC (Direction Diocésaine de l’Enseignement Catholique) et à la DINEC (Direction Nationale de l’Enseignement Catholique), en lien avec le Directeur national qui est aussi le Directeur diocésain, du suivi et de la poursuite pour le primaire et de la mise en place pour le secondaire du programme de Formation à la culture de la paix qui a été initié depuis quelques mois pour les écoles, collèges et lycées catholiques du Tchad. Dans cette même ligne, j’aurai à participer à la formation à la paix au sein des paroisses dans le cadre de la commission Justice et Paix. Enfin, je ferai partie de l’équipe Pastorale Diocésaine qui conçoit les plans de formation sur le Diocèse, avec possiblement des sessions à animer pour des publics divers.
Je suis très heureuse de donner ainsi intensément ma contribution vers la formation à la paix qui correspond à l’un des accents prioritaires de l’Église locale et dont je sens combien il répond aux besoins du pays.

Aller-retour en France pour raisons médicales (du 5 au 18 octobre 2010)
A peine arrivée au Tchad que j’en suis repartie pour des examens médicaux… En fait mon affaire est du genre classique : juste avant mon départ, j’ai pris la précaution de faire une mammographie de dépistage. Les résultats qui me dont parvenus à N’Djaména laissaient entrevoir des nodules et micro-calcifications qui pouvaient laisser soupçonner un début de cancer. Les médecins consultés (en France et au Tchad) ont conclu à la nécessité de rentrer en France pour faire une biopsie afin de regarder la nature (bénigne ou maline) des nodules, puisque la possibilité de faire cet examen n’existe pas au Tchad. La santé n’a pas de prix… mais elle a un coût et un accès auxquels tous n’ont pas droit ! Pour moi, je suis donc rentrée en France le 5 octobre prise en charge par Mondial Assistance, organisme d’assurance voyage auquel je suis affiliée grâce au SCD (service de Coopération au développement cf. http://www.scd.asso.fr/). Il y avait 50% de chances des deux côtés (bénin ou malin). Après la biopsie, mes cellules ont été envoyées à un labo qui les a examinées… et j’ai appris vendredi qu'elles étaient bénignes. Ouf… car même si j’ai vécu ces derniers jours dans une sérénité de fond, prête à accueillir ce qui se présenterait comme cela se présenterai, je suis bien heureuse de retourner au Tchad, en dépit de la chaleur, des moustiques, des coupures de courant, [les tempêtes quasi cycloniques devraient être terminées actuellement], etc…, consciente de l’enjeu et de l'ampleur de la mission qui m’attends : la poursuite de la mise en place (déjà amorcée) d'un programme d'éducation à la Culture de paix pour les écoles catholiques du Tchad (incluant la collaboration/formation avec les conseillers pédagogiques et enseignants, la formation de jeunes "ambassadeurs de paix" et la conception/réalisation d'un manuel à usage des enseignants) et des formations dans le cadre de la Commission Justice et Paix de N'Djaména.

Je reprends l’avion dans le sens Paris-N’Djaména lundi 18 octobre, avec un programme de visite des écoles de N’Djaména pour me permettre de prendre contact avec les enseignants, mieux saisir les enjeux et type de fonctionnement des écoles, et voir ce qui est déjà commencé (par exemple, la suppression de la "chicotte" qui a permis une détente chez les élèves !)
A la fin de ce mois, j’animerai deux jours de session sur le thème « travailler en équipe et collaborer » pour les prêtres ainsi que les religieuses et laïcs engagés dans les paroisses du Diocèse de N’Djaména. L’archevêque est soucieux d’offrir à chacun les « outils nécessaires pour le travail de la refondation de notre Eglise-Famille de Dieu qui est à N’Djaména ». Je me réjouis beaucoup de cette occasion de prendre contact de plus près avec les acteurs de la vie ecclésiale.
Je vais retrouver aussi les contacts du quotidien avec mes deux consœurs, Monique et Claire, que je suis heureuse de rejoindre, et avec les gens du quartier, au hasard des rencontres (par exemple, juste avant de partir, la réparation du pneu de ma mobylette, qui m'a permis une longue conversation avec un jeune, dans la rue).
J’ai profité des quinze jours passés en France pour poursuivre mes lectures sur le pays : Le souffle de l’harmattan de Baba Moustapha (j’en recommande la lecture à quiconque voudrait découvrir le Tchad); la chronique d’une religieuse du Sacré Cœur, Sr Bovagnet qui a passé plus de 30 ans au Tchad; les actes d’un colloque du Centre Al Mouna sur la Guerre de 79 et ses conséquences… Ces trois lectures présentent cet épisode douloureux de l'histoire du Tchad comme central pour comprendre les divisions du pays. Des vidéos éducatives (très pédagogiques) du service audio-visuel de Sarh ont contribué à affiner ma représentation… en présentant des scènes de la vie quotidienne.
Je vais retrouver un pays qui avance… vers le 50° anniversaire de l’indépendance : celle-ci a eu lieu le 12 août 1960, mais ne sera célébrée que le 12 janvier prochain, le mois d’août étant trop perturbé par les pluies et marqué par les vacances. N’Djaména se pare de neuf pour l’événement : goudronnage intensif des axes principaux et construction de nombreux bâtiments publics qui devraient être somptueux. Partout des travaux et des constructions : la ville est en marche… espérons qu’elle ne s’arrêtera pas !

Bien arrivée le 18 octobre au soir
Je suis bien arrivée hier soir : parti 3/4 d'heure en retard à cause des grèves, dans une atmosphère hyper sécuritaire (je me suis faite fouiller 3 fois!!!), l'avion a atterri à l'heure à N'Djaména dans une chaleur torride et humide (dans ma chambre il faisait à 22h 32°C et ce matin 30°C...). A Roissy, j'ai eu une conversation très intéressante avec l'ancienne supérieure générale des Ursulines (Sr Colette) qui allait en Afrique du Sud pour une réflexion communautaire sur l’implantation de la congrégation en Afrique. Je la connaissais depuis Tours et ai eu la bonne surprise de la trouver à une table de l'aéroport, attendant un avion pour plusieurs heures après (grèves obligent!). Ensuite le voyage s’est poursuivi, avec des conversations bien intéressantes, car j'étais voisine de journalistes de France TV qui viennent faire un reportage sur le Lac Tchad (qui a perdu 9/10° de sa superficie en 50 ans) et sur lequel se déroulera un colloque à N'Djaména à la fin de ce mois.

Samedi 23 octobre 2010
Presqu'une semaine que je suis rentrée « chez moi », à N'Djaména… avec la joie de retrouver les personnes avec qui j'ai pris contact et particulièrement ceux et celles de l'Enseignement Catholique. J'ai démarré sur les chapeaux de roues avec l'animation jeudi, vendredi et samedi matin, d'une formation pour des enfants de deux écoles primaires de N'Djaména, du quartier Kabalaye (cf photos). Ces enfants ont été élus par leurs pairs comme « ambassadeurs de paix ». Nous co-animions à 3, avec l'Inspecteur diocésain et le conseiller pédagogique. Une très belle collaboration où chacun a apporté sa contribution, la mienne résidant surtout dans les démarches de formation à la paix et la leur provenant de leur connaissance du milieu. Nous nous sommes adaptés en permanence par rapport à ce que nous avions préparé pour tenir compte des enfants. J'ai été très étonnée par exemple de la grande difficulté qu'ont eue les enfants à se mélanger entre garçons et filles. Il est vrai qu'ils venaient d'écoles non mixtes, mais sans doute s'ajoutait à cela une donnée culturelle. J'ai été aussi surprise de leur difficulté à échanger entre eux. Lorsque nous étions tous ensemble, plusieurs prenaient la parole aisément, par exemple pour partager des faits vécus, des gestes de paix qu'ils ont posés, des démarches effectuées, mais lorsque nous les mettions en petits groupes, ils restaient muets. Nous avions prévu l'exploitation de quelques textes signifiants, par exemple la parabole des aveugles et de l'éléphant, que nous avons racontée dans les formations suivantes, car l'accès des enfants aux textes n'est pas aisé, et l'objectif de cette formation n'est pas de faire un cours de vocabulaire ! Ce qui est important, c'est d'avoir senti l'engagement de ces enfants, désireux de répandre la paix autour d'eux, à l'école, au quartier, en famille… Nous les reverrons dans quelques semaines et nous verrons le chemin parcouru. Dans l'intervalle, nous passerons dans d'autres écoles en tenant compte de cette première expérience pour ajuster notre démarche. L'idée est de mettre en place une formation reproductible ultérieurement avec des outils utilisables par d'autres que nous.
Du côté de la vie quotidienne, j'ai trouvé à mon retour une situation du point de vue de l'électricité pire que celle dont j'ai parlé antérieurement dans ce blog : pas une minute, pas une seconde de courant depuis mon retour. Claire et Monique espéraient en avoir ce WE, comme cela avait été le cas les WE passés… Mais aujourd'hui, samedi, rien n'est venu…et nous resterons sans doute ainsi au moins jusqu'à lundi matin ! Bref, s'adapter est une nécessité qui demande une autre sorte d'énergie qu'électrique ! Je profite de la fraicheur de l'hôtel 5 étoiles qui fournit contre un prix raisonnable une heure d'internet haut débit. C'est une bonne récréation… Je m'en suis offerte une autre d'un tout autre genre cette semaine : une heure de « step » avec une association de femmes d'expatriés de tous pays… Cette heure de transpiration intense dans ce pays de grande chaleur m'a fait beaucoup de bien et j'oserai dire m'a presque donné une sensation de fraicheur… et en tous cas de bien être ! Je suis toujours à la recherche d'une piste pour trouver un accès à une piscine : je ne désespère pas de trouver chez des particuliers !

Lundi 1° Novembre 2010 : bonne fête de tous saints !
Le temps l’harmattan est en train de s’installer : chaleur toujours, mais sèche, ce qui est d’un côté plus agréable et d’un autre côté amène une poussière qui s’infiltre partout. La température en fin de nuit descend plus bas, et bientôt parait-il, nous aurons froid… j’attends de voir !!!
Je reviens d’une semaine passionnante à Béthel, un centre spirituel et de conférence à 20 kms au Sud de N’Djaména. C’était une semaine de session en direction des personnels apostoliques des paroisses (prêtres, religieuses et laïcs engagés). En fait les prêtres sont venus nombreux mais la plupart pour de courts séjours… les religieuses étaient peu nombreuses et la plupart des sessionistes stables étaient des laïcs. Les participants ont variés entre 40 et 50 au long de la semaine. Les trois premiers jours étaient animés par le recteur du séminaire sur le thème « Eglise-Monde, apprendre à lire les signes des temps ». La démarche suivie était intéressante et nous a permis de nommer des points sensibles de la vie sociale, politique, économique, religieuse, etc. et de tracer quelques pistes d’action. J’ai personnellement pu ainsi bénéficier d’une fenêtre ouverte sur les grands thèmes qui préoccupent les chrétiens tchadiens actuellement aux prises avec des injustices, des situations de grande pauvreté, des inquiétudes sur le présent et l’avenir de l’Église. Je donnerai deux exemples tirés des temps de carrefour auxquels j’ai participé. Pour le premier nous avons choisi de regarder les « déguerpissages », c'est-à-dire les expropriations qui se déroulent massivement, parfois contre dédommagement, parfois non. Il faut dire plusieurs cas se présentent : des personnes se sont installées sur des terrains sans titre ; à d’autres les fonctionnaires du cadastre ont vendu, en toute illégalité, des terres réservées par l’État ; parfois ce sont des propriétaires qui vendent à plusieurs personnes le même lopin… et enfin l’État exproprie des particuliers pour des constructions d’intérêt public (école, hôpitaux, centres sociaux, routes goudronnées). Si le droit s’appliquait normalement, il n’y aurait rien à redire, mais les gens sont parfois délogés avec un préavis de deux ou trois jours seulement ; d’autres qui devraient être dédommagés ne le sont pas tandis que certains le sont grassement.
L’autre question que nous avons abordée dans mon carrefour est celle de la prise en charge des prêtres. En effet depuis plusieurs mois, le diocèse ne peut verser aux prêtres l’indemnité de 84000FCFA (128€) qui leur servait de salaire. Ce sont donc dorénavant les paroissiens qui doivent assumer les dépenses relatives à la vie des prêtres (logement, alimentation, déplacements, etc.). Des quêtes appelées « paniers du prêtre », des paniers repas apportés par les CEB (Communautés Ecclésiales de Base), des cotisations et différents autres moyens ont été inventés. Certaines paroisses peuvent sans difficulté prendre en charge leurs prêtres. Ce n’est pas le cas de toutes. Lorsque la quête n’atteint pas 500FCFA, le carburant du prêtre de brousse qui a des centaines de kilomètres à faire pour visiter ses paroissiens n’est pas assuré !

Pour ma part, j’animai les deux derniers jours de la semaine. L’évêque m’avait demandé de donner une contribution sur le thème « Travailler en équipe et collaborer ». Je me suis appuyée sur mon expérience, en suivant la démarche à laquelle j’ai été initiée à l’IFHIM.
J’avais préparé mes interventions avec souplesse pour suivre le groupe, et de fait j’ai ajusté mes interventions au fil des heures. J’ai été très heureuse de l’accueil positif que les participants ont fait à la démarche appuyée sur l’expérience concrète. J’ai donné aux équipes le 1° jour la mission de produire une affichette donnant le sens du travail en équipe. Nous avons pris un temps pour présenter les affichettes (plusieurs présentaient la construction en commun d’une case ou d’un grenier communautaire, plusieurs ont utilisé l’image du balai (des baguettes liées ensemble), de la mise en commun des idées qui fait jaillir la lumière, du repas, etc..). Dans un second moment, j’ai invité les équipes à relire ce qui les avait aidés pour le travail et la collaboration et à retracer l’apport et la contribution de chacun. Nous avons sans cesse alterné entre temps en groupe entier et temps en petits groupes de 4 ou 5, destinés à donner aux uns et aux autres l’occasion de découvrir dans leur expérience les atouts et points d’appui pour le travail en équipe. J’ai articulé les deux jours avec un premier axe autour du positionnement personnel dans le travail en équipe avant de suivre une seconde piste autour de l’ajustement mutuel.
Positionnement personnel
1.         M’engager et vivre mon engagement sur le chemin de la décision
2.         Participer avec mes forces vitales
3.         Équilibrer mes énergies physiques et psychiques (gérer mes émotions, mes frustrations)
Ajustement mutuel
4.         Décider de m’ouvrir
5.         Accueillir les façons de voir, de penser, de s’exprimer différentes
6.         Prendre conscience de mes tendances/mode de comportement
7.         Prendre ma place, exercer mon leadership en tenant compte du rôle spécifique de l’autorité

Je n’ai pas encore parlé de l’électricité… toujours jamais là ! Pas drôle de vivre dans le noir, mais on trouve des moyens. Nous nous sommes fait une soirée cinéma à trois autour d’un ordinateur portable… pour voir "Les citronniers"… Nous avons beaucoup aimé !


Dimanche 7 novembre 2010… 39°C !
La semaine a été occupée par une session sur la gestion de projets et la recherche de financement à laquelle j’ai assisté avec les responsables de l’Enseignement Catholique du Tchad… La situation financière réellement préoccupante de l’Église du Tchad rend nécessaire la recherche de ressources par tous les acteurs… Si j’étais personnellement assez au point pour la rédaction de projets et les démarches relatives à leurs financements depuis la Côte d’Ivoire où j’avais expérimenté ce genre littéraire avec succès, j’ai été très intéressée par les interventions des participants à cette session et aux accents mis par les deux animateurs (jeunes tchadiens dynamiques et compétents… issus de l’Enseignement Catholique). J’ai pu apprendre aussi à connaître la plupart des Directeurs et Directrices diocésains, Inspecteurs diocésains, Conseillers pédagogiques et Chefs d’établissement du pays avec qui j’aurai à travailler dans ces prochains mois.
Mes projets par rapport à ma mission d’accompagner la mise en place de la culture de la paix dans les établissements catholiques commencent doucement à prendre forme. La grandeur du pays et le manque de finances vont m’amener à donner une priorité aux établissements de N’Djaména. Je vais essayer de mettre au point un programme pour l’ensemble du cycle scolaire (du pré-CP à la Terminale) en m’appuyant sur des enseignants pour expérimenter des séances et modules qui pourront, à terme, constituer un manuel. Nous poursuivons la formation des « ambassadeurs de paix » des écoles primaires de N’Djaména, en affinant le module déjà réalisé de sorte que d’autres puissent s’en emparer pour le mettre en place sur le reste du territoire.
L’enjeu pour moi qui ne suis pas appelée à rester longuement dans ce pays est d’inscrire mon action dans la durée en la rendant transférable à d’autres qui n’ont pas reçu la même formation que moi…

Par ailleurs j’ai la joie d’accompagner régulièrement deux jeunes hommes de 28 et 29 ans qui cherchent des repères, l’un pour mieux dominer ses colères et l’autre pour organiser sa vie. J’aimerai à terme proposer un groupe de relecture qui me permettrait d’élargir les apports à d’autres avec des interactions bénéfiques pour tous. Le manque de stabilité de mon emploi du temps rend difficile ce type de proposition pour le moment.

Côté climat… il fait chaud, chaud, chaud… L’harmattan qui assèche n’a pas encore apporté la fraîcheur annoncée. Nous avons eu de l’électricité de lundi dernier 1° novembre 23h30 à vendredi 5 à 9h30, avec seulement quelques petites interruptions. Cela simplifie vraiment la vie ! Nous avons été moins chanceuses ce WE… Cette semaine j’ai eu des soucis pour mon ordinateur qui a sans doute été infiltré par un virus… Tout semble rentré dans l’ordre, ce qui me soulage car c’est pour moi un outil de travail précieux.

N’Djaména a été le siège de grand événements ces derniers jours : séminaire sur le Lac Tchad la semaine dernière et présence active de RFI avec plusieurs émissions et un méga-concert, hier soir… 


Lundi 15 novembre 2010
Je viens de découvrir un cybercafé (presque) haut débit proche de chez nous... d'où j'écris ce message rapide. J'ai eu une semaine bien chargée avec la journée bilan des responsables de l'Enseignement Catholique lundi dernier, où un des sujets importants a été l'introduction de l'arabe comme langue d'enseignement et les difficultés que cela pose : absence d'enseignants formés et risque (déjà expérimenté) de confondre enseignement de l'arabe et enseignement de l'islam... Mardi, avec le conseiller pédagogique, j'ai repris (comme du temps du CFP) le chemin des visites de classe (au quartier appelé Atron 1). Sur trois enseignants visités, deux (qui n'ont pratiquement pas eu de formation) tenaient bien la route avec leurs 70 - 75 élèves. La troisième, manifestement débordée, était très demandeuse d'orientations et de conseils. Les derniers jours de la semaine ont été consacrés à la formation des ambassadeurs de paix de 4 écoles. D'expérience en expérience, nous affinons le module de formation. Mon souci reste toujours de générer un itinéraire que des enseignants puissent prendre en main à leur tour... avec une formation minimale.

Vendredi 18 novembre 2010
Cette semaine s’achève et elle a été un peu différente de ce que j’avais envisagé. Je voulais faire un travail de fond pour penser un programme de culture de la paix à proposer à une équipe d’enseignants. Et puis le hasard des rencontres m’a permis d’avoir des rendez-vous avec le proviseur et la directrice de deux établissements secondaires de N’Djaména, le lycée du Sacré Cœur et le collège ND de l’Assomption. Ces entrevues très riches ont été assorties d’un repas avec leur communauté respective. Des temps très fraternels et heureux avec des communautés engagées. J’ai été heureuse de découvrir ce qui se faisait déjà dans ces lieux pour la culture de la paix. Des activités et propositions à soutenir et approfondir. Je vois une attente et entrevois des pistes d’action possibles.
Mardi était jour férié ici, en raison de la fête de Tabaski, fête du mouton. Nous n’avons su que lundi soir que la fête serait le mardi, car jusque là l’hypothèse du mercredi était maintenue. En Côte d’Ivoire nous attendions qu’un Imam ait vu la lune… Ici je ne sais ce qui a permis de trancher en faveur du mardi. J’étais sollicitée pour animer un temps d’enseignement réflexion pour un groupe de filles (elles étaient une grosse quarantaine) réfléchissant à la vocation religieuse, sur le thème « Nous avons tous/tes une mission dans l’Église et la société ». Je les ai aidées à s’intérioriser et à chercher des repères en elles pour s’orienter dans le sens du service à accomplir.
Demain samedi, nous sommes conviées à une grande fête, l’ordination de deux prêtres, que je connais pour les avoir rencontré lors de la session que j’ai animée précédemment. La cathédrale sera sûrement pleine à craquer.
Dimanche matin tôt, je quitterai N’Djaména pour aller à 300km au sud de la ville (mais toujours dans le Diocèse de N’Djaména), pour donner la formation des ambassadeurs de la paix dans deux écoles. J’y pars en voiture avec l’Inspecteur Diocésain et le Conseiller pédagogique. Nous avons préparé ce matin et alors que je m’étais absentée un instant, je les ai retrouvés se questionnant sur ce que je mangerai, si je pourrais supporter la « boule », etc. Je les ai rassurés. Je ferai toutefois attention à prendre des comprimés pour purifier l’eau que mes intérieurs ne sont pas sûrs de supporter.

Dimanche 5 décembre 2010
Je reviens sur ce blog pour rapporter ce que j’ai vécu ces deux dernières semaines avec une première expérience du Tchad en dehors de la capitale : 300 kms au Sud de N'Djaména soit 150 kms de route goudronnée et 150 kms de piste incluant la traversée du Chari en bac, particulièrement longue en raison du haut niveau des eaux actuellement.
Du dimanche 21 au dimanche 28 novembre, j’ai vécu 8 jours « en brousse » comme on dit ici… pour poursuivre la formation des Ambassadeurs de la paix dans les écoles Catholiques de deux petites villes, Bousso et Ba Illi. Nous étions la même équipe de trois avec laquelle je travaille depuis le début : Moïse, l’Inspecteur Diocésain, et Larmé, Conseiller pédagogique, de N’Djaména. Ce dernier est originaire de Bousso petite ville qu’il connait comme sa poche et où lui-même est bien connu… sous le nom de Mosso ! Il appartient à une famille de la chefferie locale et le sultan de Bousso (qui nous a reçu mais que je n’ai pas pu photographier car c’est interdit !) est son neveu. Pour accéder à la ville, il est nécessaire de prendre un bac. En raison du haut niveau des eaux du Chari, le trajet sur l’eau dure une heure ou 35 minutes selon que l’on descend au fil du courant ou qu’on le remonte. En allant, nous avons entrevu les narines et le dos d’un hippopotame et entendu son meuglement.
Concernant la formation des ambassadeurs de paix, j’ai constaté une réelle différence entre le public citadin de N’Djaména et celui des deux villages de Bousso et Ba Illi. Les enfants (de CM1 et CM2) comprenaient à peu près mais avaient une grande difficulté à s’exprimer en français, langue qu’ils n’utilisent qu’à l’école… A Ba Illi, j’ai interrogé une fille qui me guidait dans la ville. Nous conversions et elle s’exprimait dans un français très correct. Je lui ai demandé son avis sur le relatif silence que les enfants gardaient lorsqu’on leur donnait la parole. Elle m’a répondu, ma sœur, c’est « la honte »… honte de ne pas dire ce qu’il faut comme il faut, de la manière qu’il faut… honte sans doute significative de l’éducation reçue non seulement à l’école mais en famille. Les faits vécus rapportés par les enfants sont aussi évidemment marqués par leur contexte de vie. Le temps passé autour des points d’eau, le travail des champs à accomplir au retour de l’école, la hiérarchie plus marquée qu’en ville entre grands et petits dans la famille sont des lieux où se joue la paix…
A Bousso, j’ai habité au presbytère et cela m’a permis une liberté de visite avec mes deux compagnons pour découvrir la ville en fin d’après-midi et en soirée. A Ba Illi, les sœurs Missionnaires du Christ Jésus m’ont accueillie chez elles. Elles sont trois : une congolaise (RDC) qui est la Directrice de l’école où nous travaillions, une Slovène et une Espagnole qui sont toutes les deux engagées dans la pastorale. Elles ont ouvert un petit internat pour une cinquantaine de filles de l’ethnie Kwong qui sans cela n’auraient aucune chance d’aller jamais à l’école. J’ai été frappée (et les sœurs m’ont partagé leur tristesse) de voir beaucoup de femmes dans les cabarets où est vendue la boisson locale, la bière de mil ou bilibili. Le dimanche soir, à notre arrivée à Bousso, une enseignante nous a dit que c’était le soir des bagarres… car les gens boivent trop. Mais en semaine aussi, l’odeur de la bilibili est frappante et ses effets visibles sur certains (certaines surtout). Voici quelques photos du voyage et des deux groupes d'ambassadeurs de paix formés à Bousso et Ba Illi.

Cette semaine qui était marquée le 3 par la fête de St François Xavier, Monique Godde, ma consœur responsable du Centre Emmanuel (Centre de soutien scolaire pour Collégiens et Lycéens) m’a invitée à venir parler aux élèves de ce centre, lundi aux aînés et vendredi, aux plus jeunes. Je l’ai fait après une messe célébrée avec quelques élèves par le prêtre ordonné il y a 15 jours à la cathédrale qui est un ancien du centre. J’étais heureuse de pouvoir intervenir devant un public plus âgé que les ambassadeurs de paix du primaire. J’ai été touchée de la qualité d’attention que les deux groupes m’ont accordés et de leur désir de paix.
Et surtout, j’ai demandé à Monique de pouvoir proposer une formation à ceux d’entre eux qui voudraient être « bâtisseurs de paix ». Ils ont été nombreux à se dire intéressés, et même si je ne connais pas encore le nombre d’inscrits, je me réjouis de cette occasion d’animer un temps de formation pour ces adolescents, pour un public plus hétérogène du point de vue religieux et ethnique que celui des écoles catholiques et en étant libre de l’itinéraire que je pourrais suivre.

La température devient plus supportable que précédemment. Les Tchadiens ont froid la nuit… même si mon thermomètre n’est pas descendu pour l’instant en dessous de 24°C… Il fait très très sec… un taux d’hygrométrie de 2%. Hier, pour la première fois depuis mon arrivée, j’ai été nager : un couple de jeunes français amis de la communauté (la jeune femme est ancienne de Ste Marie de Neuilly) réside dans la « bulle » (c’est eux qui le disent, et l’expression n’est pas erronée) d’une entreprise française de travaux publics dont les villas abritent une piscine…  Cela fait un bien immense ! Mon corps s’adapte plus difficilement que je ne l’avais imaginé aux conditions climatiques et environnementales. Heureusement, actuellement les coupures d’électricité sont moins longues…


Cette semaine a été divisée en deux activités différentes et complémentaires. D’une part, j’ai animé la formation des ambassadeurs de paix lundi, mardi et mercredi dans une école de N’Djaména, le Béguinage (du nom du quartier), Notre Dame de la Paix (de son vrai nom). Nous avions un groupe réactif, voire très réactif ! La sœur Directrice (Sr Claude, de la congrégation des St Cœurs de Jésus et Marie) nous a envoyé un groupe d’élèves « perturbateurs » pour que nous les aidions à se ranger ! Je ne sais si nous avons réussi, mais tous ont participé avec cœur… et avec le désir de la paix. Nous avons eu de belles expériences de ponts de paix, le second jour, où presque tous ont été faire une démarche de réconciliation avec un ou une amie avec qui ils étaient brouillés, depuis une période plus ou moins longue. Un d’eux a même traversé « le pont double voie » sur le Chari (beau symbole) pour aller dire à son frère qu’il ne lui en voulait plus de ne pas l’avoir averti de son mariage ! Une fille a parlé pour la première fois avec la « bonne » de sa sœur qu’elle a croisée trois fois par semaines depuis deux ans sans lui adresser le moindre mot !
Jeudi et vendredi, j’ai pu prendre le temps de mettre au propre le module 1 de cette formation intitulé « Construire la paix en soi » et avancer dans la conception du module 2 « Faire grandir la paix autour de soi ».
Ce matin, j’étais à la fête de l’école du béguinage et j’ai pu admirer le travail des enseignants pour arriver à « tenir » les 750 enfants du CP1 au CM2 à peu près tranquilles, assis sur des nattes pour les plus petits… et les avoir entraînés pour des saynètes et des poèmes autour de la paix !

Un mot des conditions de vie actuelles : nous avons beaucoup moins de coupures de courant et c’est bien appréciable. La température nocturne baisse sérieusement et les nuits sont devenues presque fraîches. L’air est extrêmement sec. La peau se dessèche et les muqueuses des voies respiratoires s’irritent. La poussière déjà copieuse auparavant est abondante et envahi tout. Je mets un masque protecteur lorsque je prends ma mobylette… avec laquelle, à défaut de skis, je m’exerce à une autre forme de glisse : évoluer sur le sable sans tomber. Dans le domaine des réjouissances nocturnes, je n’ai pas encore évoqué les concerts de hurlements à la mort et d’aboiements de chiens… qui se répètent plusieurs fois et durent parfois longtemps et troublent sérieusement le sommeil des humains. Heureusement, les moustiques qui n’aiment pas la fraîcheur se sont faits plus discrets !

N’Djaména est en transformation intense en vue de la fête de l’indépendance qui aura lieu le 11 janvier prochain : de nombreuses rues sont goudronnées, les trottoirs pavés… La place de l’indépendance qui s’étend en face du palais présidentiel et devant la cathédrale commence à prendre tournure. Je ne sais si les projets pharaoniques de bâtiments administratifs qui avaient été exposés verront le jour ensuite, mais la place sera sûrement belle… Les N’Djaménois m’apparaissent partagés entre fierté et agacement : fierté de voir leur ville s’améliorer, et agacement devant d’autres urgences non traitées : emploi, éducation, santé, etc.

Dimanche 19 décembre 2010

J’ai vécu une semaine très intéressante… Elle a commencé dimanche dernier et lundi par une formation à des jeunes du second cycle du Centre Emmanuel. Ils étaient 14 (9 garçons et 5 filles ; 7 chrétiens et 7 musulmans) venus se former pour être bâtisseurs de paix. J’ai été très frappée lorsque je leur ai demandé de partager l’objectif qu’ils avaient en s’inscrivant à cette formation : « Je veux la paix, la paix dans notre pays, notre établissement, notre quartier ; être en paix avec les uns et les autres ; vivre en harmonie ; je veux des conseils qui permettent de bâtir la paix ; je veux être formée et aider mes frères à l’école et au quartier… pour que la paix revienne au Tchad ; Je veux qu’au Tchad on retrouve la paix ; Je veux être médiateur de paix ; Je veux apprendre à faire la paix entre les frères tchadiens ; apprendre aux autres à faire la paix ; Je veux aider mes petits frères pour que la paix revienne au Tchad ; Je suis venue à cette formation pour avoir des informations, des conseils pour aider mes parents et mes camarades ; Je veux avoir l’amour des autres ; J’aimerai vivre dans la paix, apprendre à être bâtisseur de paix ; Je suis venu à cette formation pour aider mes frères à trouver la paix, à travers la réconciliation… ». Certains ont ajouté « Qu’il n’y ait plus la guerre ». Ces jeunes ont vécu les événements de février 2008 et en ont été profondément marqués. L’un d’eux me partageait avoir vu des morts dans les rues, des gens sauter du pont de Chagoua pour fuir… et trouver ainsi la mort. Il revoyait parfois ces images la nuit, signe que le traumatisme reste. J’ai insisté auprès d’eux sur l’importance qu’ils s’engagent là où ils sont, à leur mesure pour faire progresser la paix, celle qui dépend d’eux, humblement, jour après jour. J’ai particulièrement travaillé les préjugés, les murs. Ce n’est pas si facile. Dimanche nous mangions ensemble assis autour d’un même plat pour 5 ou 6. Je partageais le plat avec 5 garçons. Mon voisin me semblait gêné : c’était la toute première fois qu’il mangeait dans le même plat qu’une femme !
Parmi les préjugés que les jeunes ont mentionnés figurent ceux relatifs à la division du pays nord/sud : les sudistes voient les nordistes comme des analphabètes, des criminels et de racistes et les nordistes voient les sudistes comme des esclaves, des alcooliques, des vauriens… Si ces murs ne sont pas détruits, la paix ne peut pas s’installer. Les jeunes ont partagé des ponts qu’ils ont déjà construits. Tous avaient déjà des expériences dans lesquelles ils avaient fait grandir la paix autour d’eux, entre des amis, dans la famille, en classe… Ils sont repartis avec la volonté de construire des ponts en aidant à défaire des préjugés et en multipliant les contacts avec d’autres vers qui ils ne seraient pas spontanément allés. Le fait même de vivre ensemble cette formation a été très bénéfique, car ils ont vu que chacun d’eux, quelle que soit son origine, sa religion, son sexe avait le désir de la paix, et un désir engagé, puisque tous étaient venu participer à cette formation.
J’ai eu beaucoup de joie mardi en allant rencontrer les ambassadeurs de paix de deux écoles que nous avions formés en octobre. J’ai passé un moment formidable avec ces enfants qui ont partagé ce qu’ils avaient fait depuis la formation : des réconciliations (y compris dans leur famille avec des plus grands qu’eux), des interventions pour faire cesser des bagarres. Les bagarres ont diminué dans les cours de récréation. Je les ai lancés sur une campagne « stop à la moquerie ». Que ce soit en accompagnant des étudiants, dans la formation avec les grands adolescents ou avec ces petits, je me suis rendue compte à quel point la moquerie blesse les relations et fait du mal aux personnes.
Mardi après-midi, j’ai rencontré le P. Gherardi, jésuite fondateur de l’hôpital du Bon Samaritain qui vient d’être construit à N’Djaména et qui abrite aussi une faculté de médecine. Le Père, soucieux de la formation humaine des étudiants selon le protocole qui unit l’hôpital au réseau ICAM, m’a fait appel pour assurer cette formation, via un jeune DCC qui me connaît. Nous avons programmé une semaine en mars. Je me réjouis beaucoup de cette contribution dans un domaine si vital pour ce pays. Je les rencontre demain lundi pour un premier contact.
De mercredi à vendredi, nous avions une formation pour les enseignants de CM1 et CM2 à propos des « life skills », compétences de vie, démarche adoptée par le programme EVA qui existe depuis de longues années dans les écoles du Tchad. L’enjeu en fait était de faire percevoir aux enseignants la richesse d’une pédagogie active fondée sur le développement de compétences. J’ai pu apporter ma contribution grâce à mon expérience du C.F.P. Les enseignants manquent de formation, mais non de bonne volonté. L’atmosphère était très positive, et ils manifestaient vraiment le souhait d’apprendre et de découvrir comment faire pour rendre actif leurs élèves. C’est à mon sens d’autant plus important que les classes sont chargées (entre 45 et 75 enfants dans l’enseignement catholique ; parfois bien plus dans le public !).
Hier nous avons appris que le président avait décidé de reporter les vacances à la période du 1° au 15 janvier… Décision sage (quoique bien tardive) en raison des fêtes de l’indépendance qui vont mobiliser tout le monde autour du 11 janvier !

Un petit mot du climat : la température est presqu’agréable actuellement, les nuits sont fraîches. Hier, j’ai connu ma première coupure d’eau (en plus de l’absence de courant). C’est plus handicapant de manquer d’eau que de courant ! Heureusement, pour le moment nous n’avons pas ce vraiment ce problème ; l’eau était à nouveau au robinet le matin. J’espère que ce n’était pas un signe avant coureur de coupures plus fréquentes !

Je pense bien à la France bloquée par la neige, mais aussi à la Côte d’Ivoire, à Haïti, à la Corée… Je pense à chacun de vous à l’approche des fêtes de Noël et de Nouvel An. Qu’elles soient un temps de pause pour mieux aimer, et prendre soin de soi en vue de prendre soin de ce petit coin de planète dans lequel chacun a mission de planter et de semer la paix, la vie et l’amour…

Mes vœux exprimés ci-dessus restent actuels... je poursuis aujourd'hui avec quelques nouvelles.

Hier après-midi avait lieu, à l’initiative de l’archevêque de N’Djaména, un concert de chorale de différentes paroisses pour la paix, la réconciliation et le pardon. Je suis rentrée à pied et ai vécu une expérience de paix très heureuse : les gens rencontrés dans la rue, des personnes inconnues comme d’autres connues, me saluaient et parfois faisaient un bout de chemin avec moi. J’ai bavardé ainsi avec un manœuvre, deux jeunes femmes (bavardé ne convient pas pour elles car elles ne parlaient que l’arabe et pas le français alors que dans mon cas c’est l’inverse… mais nous avons échangé des sourires chaleureux), deux petits garçons dont l’un est fils d’un voisin général, plusieurs étudiants, un homme handicapé qui demeure près de chez nous… Les uns étaient chrétiens, catholiques ou protestants, d’autres musulmans… Une autre façon de vivre la paix que ces échanges simples et cordiaux, à l’heure où en Irak ou en Égypte, certains sont tués en raison de leur appartenance religieuse.
Ce matin, l’archevêque a célébré une messe pour la paix dans une cathédrale comble, en présence de plusieurs ministres, d’un représentant des églises protestantes et d’un représentant des musulmans. A la fin de la messe, tous les quatre ont lancé des colombes (en fait des pigeons) dans la cathédrale et les quatre volatiles se sont envolés à la grande joie des assistants : il parait que c’est la première fois que tous les oiseaux s’envolent ! Plusieurs y ont vu un signe de bon augure pour la paix au Tchad. Ce qui personnellement me semble signifiant, c’est le souhait des jeunes (et moins jeunes) que je rencontre, en ces jours où nous nous apprêtons à célébrer le cinquantenaire de l’indépendance.
Pour moi, je poursuis dans cette ligne de la formation de bâtisseurs de paix. Prochainement, j’interviendrai auprès des Kemkogi (appelés ailleurs CVAV ou Cœurs Vaillants, âmes vaillantes). Je m’appuie, en l’adaptant au Tchad et à l’âge des publics que je rejoints, sur la démarche des bâtisseurs de ponts de paix selon l’appellation donnée à l’IFHIM (Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal). Je sens combien cette démarche est pertinente : pas de grands discours, mais des expériences à vivre et des pistes concrètes pour avancer sur un chemin de paix : aller vers l’autre, faire un pas vers un inconnu, rencontrer une personne vers qui je n’irai pas spontanément. Je vois combien la paix est une décision pour plagier Jeannine Guindon, fondatrice de l’IFHIM à propos de l’amour. Vivre avec l’autre différent, ce ne peut être que le fruit d’une décision, du choix librement consenti et alimenté au quotidien, de dépasser agacements, modes et habitudes de vie différentes, opinions opposées et de choisir l’autre tel qu’il est. Je le vis au quotidien… Ce n’est pas toujours facile de combiner rythmes, habitudes, façons de voir, de penser, de faire, etc. entre personnes d’une même communauté, venant d’un même pays, partageant la même religion et nourrie par une même spiritualité. Au niveau d’une nation, il est important de chercher un objectif commun : c’est l’effort que me semble vouloir faire le Tchad actuellement avec la volonté affichée de former une nation unie. De nombreux dépassements sont nécessaires et les résistances individuelles et communautaires subsistent parfois fortement.
Cette semaine je suis plus ou moins en vacances, même si ce mot ne correspond pas vraiment à une réalité. En effet, les vacances devaient avoir lieu du vendredi 24 décembre au lundi 3 janvier, mais le jeudi 23, le Président de la République a annoncé que les vacances étaient reportées du 3 janvier au 15 janvier. En soi la date du 11 janvier avec les grandes manifestations prévues pour fêter l’indépendance justifient ce changement… que nous eussions aimé connaître plus tôt. Bref, en ce qui me concerne j’ai eu un rythme un peu plus lent depuis le 24 décembre et j’aurai un rythme toujours un peu ralenti pour les jours à venir, tout en maintenant des activités … et en veillant à prendre le repos et la détente nécessaires. Des Français qui étaient en vacances m’ont permis de profiter de leur piscine pendant leur absence : même si la dimension de cette piscine est seulement de quatre brasses… en diagonale, cela m’a fait un bien immense. Malheureusement, cette piscine est située à 10km de chez nous et avec ma mobylette capricieuse, c’est vraiment beaucoup ! Du coup, je suis partie explorer dans mon environnement proche et je suis sur une piste, chez un couple d’Américains (US). Je m’en réjouis par avance, car les moyens que j’ai trouvé jusqu’à présent pour refaire mes forces lorsque je suis fatiguée ou tendue (step, marche rapide) seront difficiles à mettre en œuvre avec les chaleurs que l’on m’annonce à partir de mars !


Lundi 17 Janvier 2011

Les dernières semaines ont été riches en événements… Personnellement, j’ai eu la joie d’animer deux moments d’initiation et de formation avec des bâtisseurs de paix : d’une part avec les coordinateurs et délégués Kemkogis (CVAV) et d’autre part, une suite sur trois jours avec le groupe de bâtisseurs de paix du Centre Emmanuel. C’est très intéressant pour moi d’avoir un même groupe une seconde fois pour voir comment la formation a travaillé et ce que les jeunes ont expérimenté dans leur milieu. Avec les Kemkogis, lorsque je suis arrivée, j’étais en avance et eux en retard si bien que j’ai pu les observer… dans leur comportement au naturel, et je suis partie de là : comment ils accueillent l’étrangère (que j’étais), comment une moquerie apparemment innocente est porteuse d’un message qui ne crée pas la paix… Je me suis appuyée aussi sur le caractère diffusif de l’attitude et de la décision de paix, alors même que l’attitude contraire est elle aussi diffusive.

La semaine dernière, et particulièrement mardi et mercredi, avaient lieu les célébrations de l’indépendance du Tchad. Un grand moment de liesse populaire et de fierté nationale. Je me suis rendue sur la place de l’indépendance re-nommée « Place de la Nation » à pied. En chemin, j’ai pu échanger avec de nombreux Tchadiens, fiers de l’allure qu’a pris leur capitale en quelques semaines. Ces derniers jours, la ville ressemblait à une fourmilière pour mener à bien tous ces travaux, et si tout n’était pas achevé pour le jour J, les ouvriers poursuivent leur tâche ces jours-ci, et il semble que cela va continuer encore. Quelle joie de sentir ainsi ce pays bouger… j’étais venue il y a 9 ans et la différence est flagrante. Nous venons d’accueillir Brigitte qui va succéder à Claire dans la communauté et auprès des étudiants des deux Centre Catholiques Universitaires (CCU). Elle a quitté le Tchad en 2002 et en la ramenant de l’aéroport dans la nuit de samedi à dimanche comme en lui faisant faire un tour de ville dimanche, j’ai encore mieux réalisé le changement : elle avait vraiment du mal à reconnaître N’Djaména qui a fait peau neuve. Les défilés et autres manifestations qui ont eu lieu ont aussi été des occasions de célébrer l’unité du Tchad… et, j’espère, comme chacun ici, de tourner définitivement la page aux divisions et guerres fratricides. Ma tâche de former des bâtisseurs de paix n’en est que plus utile… Le déplacement prévu dans les différentes régions est légèrement décalé. J’en profite pour prendre des contacts multiples.
Quelques photos des fêtes de l’indépendance peuvent être regardées à partir de ce lien. Elles montrent les travaux intensifs qui ont transformé N’Djaména (et heureusement continuent après les célébrations officielles) : Goudronnage des rues, pavages des trottoirs, aménagements des rond points et réalisation grandiose de la place de la Nation sur laquelle se sont déroulées les festivités. J’ai pris des photos du défilé militaire qui avait des allures de 14 juillet (si l’on excepte la présence des dromadaires…). En les prenant, je rêvais que toute l’énergie, la rigueur, les moyens financiers et humains déployés pour une parade de soldats soient convertis en dynamisme au service du développement du pays…

Dimanche 30 Janvier 2011
Début janvier, avec les parents de Jean [séminariste de Paris qui passe une année au Tchad, et sert au Centre Emmanuel] nous avons été une journée à Maïlao (50 kms au sud de N’Djaména) et nous faisions le constat surpris de la rareté des espaces cultivés (et pourtant humides car bordant le Chari) dans un périmètre si proche de N’Djaména ville pourtant très demandeuse de produits vivriers qui lui viennent pour l’essentiel du Cameroun voisin… Brigitte qui nous a rejoints après de nombreuses années à Abidjan (dont plusieurs ont été communes) s’étonne de la cherté de la vie. Le rapport entre les salaires et le cout de la vie est dramatique pour de nombreuses familles.

Nous avons commencé depuis une dizaine de jours la visite de suivi des écoles par rapport au programme « culture de la paix ». « Nous », c'est-à-dire le Directeur National de l’Enseignement Catholique, le planificateur, et l’Inspecteur diocésain et le Conseiller pédagogique du Diocèse concerné, et bien sûr moi-même. Pour le moment, nous avons fait le tour des écoles de N’Djaména. Le déroulement est le suivant : le matin, nous passons de classe en classe pour nous faire une représentation des acquis théoriques des enfants sur les valeurs de paix. Par exemple celui qui anime (nous le faisons à tour de rôle) leur demande : « La paix, pour vous c’est quoi ? » Ensuite, nous les questionnons sur le pardon, la moquerie, la bagarre entre eux, et invitons ceux qui le veulent à faire une démarche de réconciliation avec un autre. Ainsi deux filles de CE2 dont l’une avait insultée par l’autre avec le vocable « bordel » (en arabe) s’est vue traitée en retour de sorcière… Elle a répondu et l’échange a dégénéré… de sorte que depuis plusieurs semaines ces deux amies ne se parlaient plus. Je leur ai demandé si elles voulaient rester ainsi ou si elles voulaient redevenir amies. Devant les autres élèves de la classe, elles se sont demandé pardon et se sont salué… C’est l’occasion de manifester que demander pardon est un acte qui demande du courage !
Les après-midi, nous nous adressons aux parents pour les associer à l’effort d’éducation à la paix qui se fait à l’école. Après un mot introductif assez bref, les parents posent des questions et apportent leur contribution. Leur préoccupation porte sur la suppression de la chicote et des châtiments corporels dont les enseignants sont supposés ne plus user. Difficile de se détacher de moyens « éducatifs » qui ont été les leurs… Le désir de la paix, des échanges interreligieux sont exprimés par plusieurs. Et dans chaque école les parents nous interpellent pour que ce que nous faisons dans les écoles catholiques puisse aussi être étendu à toutes les écoles du Tchad, et au-delà des écoles… Nous les invitons à être eux-mêmes les diffuseurs et les relais de cette culture de paix… La semaine qui vient, nous allons partir dans le Guéra (région à l’est du Tchad) visiter les écoles de Mongo et de Bitkine. Je me réjouis de découvrir cette région.
Après avoir vécu une quinzaine de jours à un rythme ralenti à cause de problèmes intestinaux (parasites, amibes, ou ? ) le traitement suivi a eu un effet positif et j’ai retrouvé la santé et l’énergie. La chaleur est revenue après quelques semaines merveilleuses du point de vue de la température… et avec la chaleur, les coupures de courant !

Lundi 7 février 2011

Je suis revenue samedi de la région au Centre Est du Tchad appelée le "Guéra". Une très belle région montagneuse... et sèche. Comme à N'Djaména la semaine précédente, nous sommes passés dans les classes de deux écoles primaires de Mongo et d'une école primaire et d'un collège de Bitkine. Joie d'un échange avec des enfants qui s'expriment sans autre frein qu'un français défaillant. Nous avons aussi rencontré les parents, avec toujours la question de la chicotte comme objet de débat. Un parent a partagé qu'il était heureux de notre passage car il avait supprimé la chicotte depuis bien longtemps et avait imaginé d'autres manières d'installer la discipline, positives et contractuelles !
Voici les photos du Guéra Le Tchad est vraiment un beau pays!

Je reviendrais sur ce blog lorsque je pourrai : pour le moment mon emploi du temps est très chargé !
Passionnant et prenant... Cette semaine, je donne une formation de deux jours pour les enseignants du primaire de N'Djaména : je veux leur donner des outils pour la formation à la culture de paix. Et en fin de semaine je donnerai aussi deux jours pour les ambassadrices de paix d'un collège (l'Assomption). Je suis très intéressée par cette première expérience dans le secondaire et vise à former les professeurs responsables, mais tout ceci me demande un travail intense de préparation.

Dimanche 13 février 2011

Jeudi et vendredi, j'ai donné une formation à tous les enseignants du primaire des écoles catholiques du Diocèse de N'Djaména sur le thème de la culture de la paix. Initialement, j'avais prévu de leur faire vivre des éléments de la formation donnée à leurs élèves ambassadeurs de paix, en adaptant évidemment à leur maturité. Cependant, en passant dans les écoles, je me suis rendue compte qu'ils avaient besoin de découvrir de nouveaux moyens pour la discipline dans leurs classes. En effet, la Direction Nationale a demandé la suppression de la "chicotte" et des châtiments corporels. En dépit de quelques résistances et quelques "résistants" la chicotte a disparu dans presque toutes les écoles et les classes... Mais les enseignants semblaient la regretter. Ils se sont soumis à la directive, sans toujours en assumer le sens, et pour certains sans trouver par quoi la remplacer dans la conduite de classe. Il faut avouer que la formation des enseignants est fortement déficitaire. Certains d'entre eux n'en ont même reçu aucune tandis que leur niveau de base est lui aussi défaillant. J'ai donc consacré une demi-journée à la conduite de classe selon une éducation à la culture de la paix. C'est très passionnant de former des enseignants déjà en place. Le second jour était consacré à la résolution des conflits, nombreux, entre les élèves. J'ai conçu un module sur ce thème pour les Ambassadeurs de paix appelés à devenir des Ambassadeurs-Médiateurs de paix. Avant de le donner il était important que les enseignants soient sur la même longueur d'onde, afin de pouvoir les soutenir sans faire à leur place.
Hier (samedi) et aujourd'hui (dimanche) je suis allée commencer à former les ambassadrices de paix du collège de l'Assomption, un collège de filles qui marche très bien. Elles étaient 30 élèves de la 6° préparatoire à la 3°, chargée d'animer les « Cités de paix » constituées au Collège. C'était la première fois que j'intervenais auprès du niveau Collège et je suis très heureuse du chemin parcouru et de l'accueil fait par ces filles à la formation. Je les ai envoyées en "mission de paix" hier soir dans leur famille... Elles ont rapporté ce matin ce qu'elles avaient pu faire : démarches de réconciliation, attitude nouvelle envers les parents, transformation intérieure, etc. C'était très beau. Je les revois dans un mois. Demain je pars visiter des écoles dans le Sud pour une semaine: Laï, Kelo et Pala... Ma découverte du Tchad s'approfondit.
La chaleur monte, monte, monte. La météo annonce des 46°C. Il parait que c'est très tôt ! Pas d'autre solution que de vivre avec, en cherchant les moyens pour supporter.

Dimanche 13 mars 2011

Les dernières semaines ont été occupées par de multiples voyages dans tout le pays. Après l’Est, avec Mongo et Bitkine, j'ai été vers le Sud en deux déplacements avec un retour d’une semaine à N’Djaména au milieu : d’abord Kélo, Laï et Pala (dans les régions de la Tandjilé et du Mayo Kebbi – photos en cliquant sur ce lien) puis à Moundou, Goré, Donia et Doba (dans le Logone occidental puis le Logone oriental – photos en cliquant sur ce lien). J’en suis rentrée vendredi et repars samedi prochain vers Koumra et Sarh. Ces tournées ont pour but de nous permettre de prendre la mesure de ce qu'a produit comme fruits l’effort en vue d’installer une culture de paix dans les écoles catholiques et à partir d’elles. Dans toutes les écoles où nous sommes passés, le constat général est que le nombre de bagarres entre élèves a diminué, que la chicotte a, pour l’essentiel, disparu des pratiques éducatives des maîtres et que les parents ne viennent pratiquement plus trouver le directeur ou la directrice pour porter plainte contre un assaillant de leur rejeton ! Les enfants élus ou désignés pour être « ambassadeurs de paix » veillent pendant les temps de récréation à séparer les éventuels adversaires : « Arrêtez ! La bagarre, c’est pas bon, nous sommes tous des frères, la bagarre ne vous grandira pas, etc. ». Et le plus souvent les enfants s’arrêtent de se taper dessus… Parfois, les règlements de compte se font au quartier, preuve qu’il y a encore un travail à accomplir pour que les enfants apprennent véritablement à résoudre leurs conflits autrement que par la violence.
Un véritable fléau qui ajoute au problème de la violence dans les régions du Sud est celui de l’alcoolisme. Nombreux sont les hommes mais aussi les femmes qui boivent. Il n’est pas rare de voir des personnes titubantes ou éthyliquement gaies dès la matinée mais plus encore en fin de journée. Et la boisson a des effets pervers dramatiques que les évêques dénoncent depuis des années sans trouver les moyens de résoudre les problèmes. L’alcool favorise la violence, accroit la pauvreté et créé un déficit éducatif chez des parents occupés à boire au lieu de suivre leurs enfants.
Dans une classe d’une école de filles, à Doba, j’ai demandé aux élèves (des CM1) si elles buvaient. Plusieurs ont répondu que non, mais d’autres n’ont rien dit… Je leur ai fait calculer la somme qu’économiserai sur une année une maman qui arrêterai de consommer trois calebasses de bilibili (la bière locale). Cela fait une somme déjà importante, mais je crois que j’ai été trop timorée dans le nombre de calebasses !
Le déplacement dans la zone de Doba dans laquelle le pétrole Tchadien est exploité depuis 2003 est riche d’enseignement sur le faible profit que retirent les populations de cette manne… Pourtant, en traversant le Tchad comme je l’ai fait, j’ai pu constater que des écoles et des hôpitaux ont été construits récemment… Mais les écoles n’ont pas d’élèves faute d’enseignants et les hôpitaux sont sans médecin. Ainsi par exemple à Benoye, j’admirai l’hôpital situé à l’entrée de cette petite ville. Un des enseignants de l’école que nous visitions nous a dit que le médecin qui avait été affecté était parti en formation pour trois ans et qu’il n’était pas remplacé ! Personnellement, il me semble, concernant les écoles qu’il serait préférable d’investir prioritairement dans la formation des enseignants… même si ceux-ci devaient dans un premier temps enseigner dans des classes en secko (paille tressée).
Car dans nos missions de suivi, les parents disent souvent que le niveau des élèves baisse… et mettent parfois ce fait (réel) en lien avec la suppression de la chicotte : c’est parce que les enfants ne sont pas frappés qu’ils travaillent moins. A quoi nous répondons que la chicotte ne rend pas intelligent, que beaucoup d’enfants dans le passé ont arrêté d’aller à l’école par lassitude des coups et que la chicotte engendre un climat de peur peu propice aux apprentissages. Mais surtout, le niveau baisse au Tchad depuis des années, bien avant que la demande de supprimer la chicotte (légalement interdite depuis des années, sans effet) ait été formulée pour les écoles catholiques. Le manque de livres, les effectifs pléthoriques, l’introduction de la télévision dans les villages et des films (genre thrillers violents) et surtout le faible niveau des enseignants rendent plus sûrement compte de cette baisse de niveau… Ce dernier point est difficile à mettre en lumière dans nos réunions alors même qu’il est le point névralgique. Comment reprocher à un enseignant recruté au niveau BEPC ou titulaire d’un bac actuel de faire des erreurs d’orthographe, comment reprocher à des enseignants n’ayant eu dans le meilleur des cas que 9 mois de formation, comment reprocher à des « maîtres communautaires » rémunérés par les parents d’élèves (pour qui c’est un gros effort financier) à hauteur de 20 000F CFA (soit 30€… parfois plus, parfois moins encore !) de prendre leurs après-midi pour travailler leur champ plutôt que de préparer des cours ou corriger des cahiers ? Personnellement, je travaille pour que l’effort que nous faisons pour les former à la culture de paix, ait un impact général sur la qualité de l’enseignement.
Je souhaite un bon temps d'entrainement pour mieux aimer à ceux et celles qui vivent ces semaines le carême (= "car aime" comme transcrivait une élève ivoirienne fort à propos)

Samedi 2 avril 2011 : Photos de mon dernier voyage

Voici quelques photos de mon dernier voyage qui vient clore les visites de suivi des écoles pilotes du projet d'éducation à la paix. Ces prochaines semaines, je resterai à N'Djaména pour donner différentes formations, dans les écoles et collèges, aux enseignant(e)s de pré-CP, aux étudiants en médecine et futurs étudiants infirmiers, à des jeunes animateurs de développement et à l'Assemblée des délégués des comités de Justice et paix de tout le pays. Un programme intense à intégrer au climat très chaud qui sévit ici.
Nous suivons au jour le jour les évènements de Côte d'Ivoire. Brigitte en vient et y a passé plus de 15 ans et moi-même y suis restée 11 années. Que de gâchis et de tristesse de voir que la folie de certains entraîne tout un peuple dans la tourmente. La paix est un bien tellement précieux et si fragile. Que chacun là où il est s'emploie à la faire grandir sans relâche : que le petit bout qui dépend de nous ne manque pas...

Lundi 25 avril 2011: Bonne fête de Pâques

Bonne fête de Pâques à tous… Pâques, célébration de la vie plus forte, de l’amour plus fort… Sous certains cieux, Pâques coïncide avec la venue du printemps, l’apparition après l’hiver des premières fleurs, l’éclosion des bourgeons. La nature symbolise le mystère de Dieu pour manifester la résurrection. Ici, pâque prend la couleur de la chaleur plus intense… Il fait encore plus chaud que pendant les autres saisons. Elle varie le jour entre 45 et 50°C, et la nuit, la température ne descend pas dans la maison en dessous de 33°C et la météo nous prédit des nuits encore plus chaudes.
Nous avons fêté Pâques dans ce contexte vraiment éprouvant!!! Cette donnée climatique occulte un peu tout le reste. Je m’efforce de trouver des petits trucs qui permettent de trouver un peu de fraicheur : j’ai dormi plusieurs jours sous un paréo que je mouillais plusieurs fois, jusqu’à ce que des allergies apparaissent... Avec un vaporisateur de produit à laver les vitres abondamment rincé préalablement, je m’envoie des petits nuages d’eau sur le visage, ce qui produit une douce impression… qui dure quelques secondes !

J’avais laissé entendre dans un message précédent sur ce blog que j’avais trouvé une piscine proche de chez nous chez des particuliers qui accepteraient de m’accueillir. Je m’étais vraiment réjouie de cette heureuse possibilité de nager même dans une piscine petite (quatre brasse en diagonale maximum !). Malheureusement, ladite piscine est encore actuellement sans eau pour des raisons techniques. Il y a deux semaines, J’ai décidé de prendre un peu de vacances et je me suis offert un abonnement à la piscine d’un grand hôtel de la place. J’ai ainsi pu aller nager tous les jours et cela m’a fait vraiment beaucoup de bien.

Nous sommes en train d’équiper notre maison de panneaux solaires qui nous offrirons de la lumière… et la possibilité de faire fonctionner un ventilateur lorsque l’électricité de la ville ne nous parvient pas, ce qui est extrêmement fréquent ! Nous bénéficions de l’apport d’un généreux sponsor, mais cette énergie est loin d’être à la portée de la moyenne des habitants du Tchad. Je ne pensais pas que le solaire était si couteux et si compliqué à installer dans un pays dans lequel le soleil ne manque pas. Évidemment, tous les matériaux, déjà chers en eux-mêmes, sont importés, et le transport est très dispendieux (double voire triple le prix d’achat en Europe). Cependant, l’ensoleillement est un atout pour l’énergie photovoltaïque mais la température est au contraire un handicap : au dessus de 25°C, la production en électricité des panneaux solaires baisse en proportion de l’augmentation de température. Bref, le solaire est finalement idéal pour les pays tempérés !!!

La semaine dernière, j'ai animé une session de 30 heures de formation humaine pour 32 étudiants de 3° année de médecine. Je me suis abondamment appuyée la démarche de l’IFHIM qui consiste à partir des expériences vécues. J'ai été très heureuse du chemin parcouru par certains et de l'accueil fait par la plupart à cette session au cours de laquelle j'ai pu les aider à découvrir leurs forces, approfondir le sens de leur vie (pas clair pour tous car le choix de la médecine a des motivations diverses), et les orienter vers une possibilité de gérer leurs charges affectives et leur sexualité. Cela m’a fait beaucoup de bien d’animer cette session… Même avec une température dépassant 40°C dans la salle ! A vrai dire pendant que j’anime, j’oublie la chaleur.

Aujourd'hui est jour d’élection, et j’espère qu’il n’y aura pas de troubles. L’enjeu est nul car tout le monde connait d’avance le vainqueur et les gens ne pensent pas que des mouvements tels que ceux qui se déroulent actuellement dans plusieurs pays arabes puissent se dérouler ici.

Voici quelques échos depuis mon pays d’adoption… temporaire. Je ne prolongerai pas au-delà des 18 mois prévus initialement. J’ai encore une grande tâche à accomplir pour le projet d’éducation à la paix, mais j’ai déjà bien avancé. Mon objectif premier l’année prochaine sera d’approfondir la formation des formateurs (Inspecteurs Diocésains, Conseillers pédagogiques pour le primaire et responsables de la culture de paix des établissements secondaires). Une formation de 8 jours est prévue. Mais le sens de la formation, et surtout les finances ne permettront pas d’aller au-delà. Toute formation coûte cher en raison au minimum des frais de déplacements et d’hébergement des sessionnistes, même lorsque l’on ne rajoute pas de « per diem ». Cette expression désigne la somme versée par jour aux participants à une formation… une habitude qui, à mon sens, nuit gravement à la formation car le coût de celle-ci pour les organisateurs deviennent insupportables. Fidèle à ma vision idéaliste, je pensais que l’enjeu de la paix pouvait susciter un intérêt « désintéressé » de sorte que les per diem ne seraient pas exigés. Des expériences vécues avec des enseignants de N’Djaména et même leurs responsables hiérarchiques m’ont amenée à déchanter… La « motivation » reste financière où elle n’est pas ! D’un côté, je sais bien que les gens sont à court d’argent, que la vie à N’Djaména est particulièrement chère… d’un autre côté, je sais aussi que tous ont souffert terriblement des événements violents de 2008 et des guerres antérieures et ne veulent plus que cela se reproduise. Je vois qu’il y a là un champ à travailler pour que la paix grandisse, en vérité.

Samedi 28 mai 2011

Voici plus d’un mois que je n’ai pas écrit. Plusieurs raisons expliquent ce silence plus long que d’habitude : les travaux pour l’installation solaire qui m’ont bien mobilisée, les difficultés de connexion Internet, la chaleur… et des activités qui se sont enchaînées.

Concernant la chaleur, elle est en train de décroître. Nous sommes retombés au dessous de la barre des 40°C et les nuits ne commencent plus qu’à 30°C pour finir autour de 28°C. En clair, cela signifie que dormir redevient une activité agréable et reposante !
Mes activités de ces dernières semaines ont été multiples : rédaction du dossier de demande de subvention pour les trois années à venir du projet d’éducation à la paix pour les écoles catholiques du Tchad ; formation des enseignantes de pré-CP (c'est-à-dire des enfants de 5 ans, équivalent de la Grande Section de maternelle de France) ; expérimentation du module de formation que j’ai conçu pour les ambassadeurs-médiateurs de paix avec les élèves d’un collège secondaire puis avec des enfants de deux écoles primaires ; formation humaine avec des jeunes qui postulent pour entrer à l’école d’infirmiers du CHU où j’étais déjà intervenue pour les 3° années de médecine ; formation avec les jeunes profès (jeunes religieux/ses) du Diocèse de N'Djaména, accompagnements divers et préparation des formations à venir.
Chacune des formations que j’ai données est appréciée par les participants. Ils en soulignent le caractère concret et opératoire qui tranche avec beaucoup de formations qui restent au niveau des principes et des généralités abstraites. Je dois cette qualité à la formation reçue à l’IFHIM qui s’appuie sur l’expérience vécue et y ramène avec un déplacement lié à des apports et à des prises de conscience. Je transmets à chacun de mes publics des outils comme les trois registres d’énergie ou trois chemins que j’ai renommé « trois terrains » : terrains de l’émotion, de l’obligation et terrain de l’autonomie sur lequel on entre par le chemin de la décision ; le budget d’énergie et la recherche de recettes pour équilibrer les dépenses, avec l’apprentissage de moyens pour gérer les charges affectives, qui, lorsqu’elles surviennent, grèvent fortement le budget d’énergie. Avec les étudiants en médecine, comme avec les futurs infirmiers, j’ai particulièrement travaillé la question du sens de la vie en aidant chacun à tisser trois fils : les « perles » de leur vie déjà écoulée (expression empruntée à la démarche vécue l’année dernière en Haïti), les cris et appels de leur peuple auxquels ils sont sensibles et auxquels ils peuvent choisir de répondre en apportant leur contribution, et enfin, la recherche de personnes signifiantes et inspiratrices qui peuvent les mettre sur la voie du type d’homme ou de femme qu’ils veulent devenir. Ce travail les éclaire beaucoup et les lance sur un questionnement dynamique qui est nouveau pour eux.
Avec les enseignantes de pré-CP, j'ai sollicité et ai proposé des moyens pour guider le groupe en allant chercher la décision des enfants, en les responsabilisant et d’abord en les considérant comme des personnes, en suivant leur rythme, en tenant compte de leurs besoins, en les rendant actifs, en veillant à l’alternance et à l’intérêt des activités proposées…
Avec tous, je relis les expériences dans lesquels ils ont détruit des murs et dépassé des préjugés et où ils ont construit des ponts, relié des personnes, fait circuler la vie là où elle était bloquée. Dans chaque formation, j'envoie les participants en « mission de paix » avec des retours très riches de démarches de réconciliation amorcées et de paroles de pardon accordé.
Pour les ambassadeurs-médiateurs de paix, je me suis rendue compte, depuis que je travaille avec les enfants, de l’importance de développer, en préalable aux compétences de la médiation proprement dite, l’attitude de « l’affirmation pacifique » face au conflit. Habituellement, ils adoptent deux autres positions : certains répliquent, et à la moquerie succède l’injure qui ouvre la voie aux coups et à la bagarre qui peut se transporter entre les familles en favorisant une spirale de violence ; d’autres se taisent, endurent la provocation, le vol et les coups sans riposter, encourageant ainsi tacitement les caïds et la loi du plus fort ou du plus malhonnête. Je travaille donc avec eux une troisième possibilité (ni violence, ni silence mais affirmation pacifique) : apprendre à exprimer son besoin calmement tout en conservant le lien avec l’autre. Je vois que j’aurai ce même travail à faire avec les adultes qui les encadrent. En effet, dans un conflit, les enseignants demandent aux enfants de se saluer et de se pardonner… ce qui constitue une solution simple pour la plupart des conflits entre enfants mais qui engendre dans plusieurs cas de réelles frustrations et injustices qui ne sont pas de nature à faire grandir la paix.
Le travail amorcé dans les écoles pour la suppression de la chicotte reste à poursuivre. Dans les deux écoles dans lesquelles j’ai travaillé avec les ambassadeurs-médiateurs de paix, je me suis rendue compte que « le serpent noir » (courroie de voiture) n’avait pas disparu ou qu’il était revenu en cette fin d’année. L’année scolaire prochaine j’aurai l’occasion d’approfondir ce travail car j’animerai d’une part une formation de huit jours avec les Directeurs Diocésains, Inspecteurs et Conseillers pédagogiques et d’autre part deux formations de trois jours avec les parents des Bureau National et Bureaux Diocésains des Association de Parents d’élèves. Ces personnes sont des démultiplicateurs qui auront la tâche ensuite de sensibiliser tous les enseignants et les parents des écoles catholiques de tout le Tchad. Je veux les aider à trouver eux-mêmes et à transmettre autour d’eux d’autres moyens que la violence et les coups, la punition et la contrainte en éducation… l’éducation à la paix passe par une éducation avec des moyens de paix !

Pour terminer sur une note plus divertissante, avec Brigitte, une de mes consœurs, nous avons trouvé une activité de détente qui nous fait beaucoup de bien : la baignade dans le Chari (fleuve qui arrose N’Djaména et que nous fréquentons en amont de la ville)… bien mieux que la piscine qui reste cependant fort appréciable !
Je rentre en France le 28 juin pour deux bon mois de climat tempéré… La sécheresse qui y sévit ne me fait pas peur après la traversée d’une année en pays sahélien !

Quelques photos du solaire et d'une journée de baignade au bord du Chari...

Actuellement à Laï, dans le Sud du Tchad, je dispose d'une connexion Internet accessible facilement. J'en profite pour mettre en ligne quelques photos consultables à partir des liens suivants :
Je suis "facilitatrice" (c'est à dire animatrice) à l'assemblée nationale des commissions Justice et Paix du Tchad. Même si je ne trouve pas très "facile" d'animer une session dans laquelle les personnes ont des habitudes de travail déjà très établies, cela me donne l'occasion de découvrir les préoccupations et défis que ces commissions ont à relever : important et immense.
Il fait de nouveau très chaud et en plus ici, dans le sud, très humide... en écrivant ce message, je suis toute trempée... Je trouve ce climat vraiment pénible, mais les participants aussi ne cessent aussi de dire combien il fait chaud : nés dedans, ils ne sont pas pour autant habitués !


Deuxième année au Tchad : Septembre 2011-Mai 2012


Lundi 26 Septembre 2011 de Moundou

Voici déjà un mois que je suis rentrée au Tchad, et j’ai vécu déjà beaucoup de choses, sans avoir le temps de venir vous retrouver pour les partager. Le surlendemain de mon arrivée à N’Djaména je commençais une première session de formation d’une durée de 8 jours à l’intention du personnel d’encadrement des écoles primaires de l’Enseignement Catholique du Tchad : Directeur National, Directeurs ou plutôt Directrices Diocésaines, Inspecteurs et Conseillers pédagogiques Diocésains venant des huit Diocèses du Tchad, en tout 21 personnes. L’objectif de cette session était formulé ainsi : « Acquérir et concevoir des outils concrets (personnels, pédagogiques et didactiques) pour le développement des compétences de paix et leur transmission aux enseignants et aux ambassadeurs de paix [de leur] Diocèse ». M’appuyant sur la certitude que « la paix commence par moi », j’ai consacré les deux premiers jours de cette session par un travail sur eux et pour eux en tant que personne (époux, parents, voisins, membre d’une communauté, citoyen, etc.). J’ai invité chacun a partager en quoi la paix était importante pour lui et a rapporter une expérience dans laquelle il avait fait grandir la paix. Chacun a pu découvrir comment il était artisan de paix au quotidien, et aussi se stimuler en regardant sa vie et en s’écoutant mutuellement à renforcer le désir et les attitudes qui conduisent à la paix. Ce premier travail sur leur personne a été poursuivi et approfondi par la transmission active des modules de formation des ambassadeurs de paix. Je leur ai fait vivre l’itinéraire de formation qu’ils proposeront ensuite aux élèves des classes de CM1 et CM2 qui seront élus dans leur classe pour favoriser la entre les élèves et aussi pour aider à résoudre de manière pacifique les conflits qui surgissent, aussi bien dans l’école qu’au quartier. Dans un troisième temps, j’ai proposé « des outils pour conduire sa classe dans la paix », outils destinés aux enseignants que les sessionnistes auront la charge de former. Ces outils sont rassemblés dans un fascicule qui a été imprimé et qui comporte les chapitres suivants :
Introduction
Plaidoyer pour une éducation sans chicotte
Conduire sa classe vers l’autonomie
Créer un climat de classe paisible et heureux
Instituer des espaces de parole        
Instaurer les règles de vie de la classe
Prévoir les conséquences des transgressions
Intervenir de manière constructive
Responsabiliser les élèves
Promouvoir le travail en équipes
Planifier la mise en œuvre
Mutualiser mes «  bons coups »
Chaque chapitre est composé d’une introduction qui fait le lien entre le thème du chapitre et la culture de la paix, et l’éducation à  la citoyenneté et à la démocratie. Suivent ensuite des fiches-outils qui proposent des attitudes et dispositifs concrets qui favorisent une éducation à un vivre ensemble pacifique et responsable.
Au cours de la session, j’ai présenté ces outils en les faisant travailler pour que chacun puisse se les approprier en vue de les transmettre.
Les participants ont eu aussi à concevoir plusieurs séances pour aider les élèves à découvrir des moyens pour éviter des conflits violents : écouter, négocier, tirer au sort, laisser aller, s’excuser, remettre à plus tard, etc.
Les huit jours ont été très denses.  Dans l’esprit du projet financé par l’organisme allemand Misereor cette formation de formateur était destinée à les outiller pour les 3 années à venir… Il me semble que la mission a été remplie. Le huitième jour a été consacré à prévoir et planifier la mise en œuvre et à examiner un outil de mesure des effets et impacts des actions qui seront menées demandé par Misereor. En novembre je présenterai d’autres outils qui iront dans le même sens.
Avant de poursuivre sur les sessions, un mot de la communauté. Lorsque je suis arrivée à N’Djaména, j’ai été accueillie par Monique Godde qui y a passé l’été (elle prend ses vacances depuis plusieurs années aux mois de mars, avril et mai). Ensuite juste lorsque j’ai achevé la session dont je viens de parler, nous avons accueilli Teresa, une SFX (abréviation pour dire un membre de la communauté St François Xavier) qui vient de Corée et qui va passer quelques mois avec nous à N’Djaména. En dépit du décalage horaire et du décalage culturel, Teresa a montré un grand enthousiasme dans ses premiers pas au Tchad, guidée par Monique qui l’accueille au Centre Emmanuel, au service des lycéens et collégiens qui viennent renforcer leur travail scolaire (et leurs apprentissages du vivre ensemble). Brigitte Farcot, la quatrième (et responsable) de la communauté que nous allons former cette année, est arrivée lundi dernier… après avoir participé à la messe des vœux qui a rassemblé la communauté de France autour du premier engagement d’Hélène, la dernière arrivée dans la communauté.  Je n’ai pas encore vu ni entendu Brigitte car je suis partie dès le dimanche pour Moundou pour donner une session un peu semblable à celle que j’ai évoqué plus haut, cette fois-ci à destination des chefs d’établissement et des coordinateurs de la culture de paix des collèges et lycées. J’ai suivi grosso modo le même parcours… mais la session a été bien différente, puisque les personnes étaient différentes et le niveau visé l’était aussi. J’ai eu la grande joie de pouvoir m’appuyer sur une des participants qui a suivi avec moi deux ans de formation à l’IFHIM en 2002-2004 : Sr Mary Ranee, une Sri Lankaise. Elle a été très précieuse pour les temps de travail en équipe, et aussi pour l’amitié partagée… Depuis que je suis au Tchad, j’anime seule les sessions et j’ai vraiment aimé de pouvoir collaborer avec quelqu’un qui travaille dans le même esprit.
Aujourd’hui, je pars pour Donia, pour une session sur la gestion des finances. Misereor qui finance le projet à des normes et exigences comptables que les participants au projet auront à respecter… Comme nous sommes en période de rentrée scolaire, la plupart des gestionnaires des établissements secondaires ne pourront pas faire le déplacement et, en collaboration avec le comptable de la DINEC (Direction Nationale de l’Enseignement Catholique), nous redonnerons la session à une date ultérieure… Le travail de la paix prend plusieurs visages !
Je rentre donc samedi prochain à N’Djaména, avec une intervention dimanche auprès des permanents du CCU (Centre Catholique Universitaire). Ensuite j’aurai une semaine pour préparer les deux sessions que j’aurai à donner aux parents, en vue de les « équiper pour être des relais de l’éducation à la paix auprès des pairs parents. La formation portera sur le développement de l’enfant induisant des axes d’éducation familiale pacifique et sur la gestion des conflits dans la famille et dans l’entourage. Un accent sera mis sur les relations entre parents et enseignants pour assurer une convergence dans leurs actions respectives. » Avec eux aussi, je partirai de leurs expériences vécues, avant de proposer des pistes à vivre et à transmettre aux autres. Je reviendrai donner des échos.
Je ne peux pas terminer ce message sans quelques indications météo…  En arrivant à N’Djaména, j’ai été saisie par la chaleur humide (autour de 35°C le jour avec des nuits plus fraiches). Le thermomètre descend de manière sensible dès qu’il pleut et il pleut tous les 3 ou 4 jours (des pluies torrentielles !). A Moundou, la température est bien supportable (entre 26° la nuit et 30° le jour).

Dimanche 23 Octobre 2011

J’ai du mal ces derniers temps à donner des nouvelles régulières : la température est élevée le jour et les activités de formation et d’accompagnement de personnes et de groupes s’enchainent à un rythme dense. J’ai traversé un épisode palustre (paludisme ou malaria) sans gravité qui m’a cependant  fatiguée, fatigue dont je commence à sortir…
Du point de vue de la vie quotidienne, nous sommes actuellement dans une situation inédite. Nous avons surmonté l’absence d’énergie électrique grâce aux panneaux solaires qui nous permettent aussi de porter remède aux difficulté occasionnelles d’alimentation en eau par l’intermédiaire d’un « surpresseur » connecté au circuit solaire, qui en cas de besoin fait monter l’eau dans les citernes situées sous le toit. Privilégiées de ces points de vue par rapport à des milliers de Tchadiens, nous sommes confrontées comme eux à la pénurie de Gaz qui sévit depuis plus d’un mois. Impossible de trouver à N’Djaména des bouteilles de gaz, nécessaires pour faire marcher notre cuisinière. Il nous reste une bouteille que nous devons économiser au maximum. Nous avons des voisins suisses qui font fabriquer et commercialisent des fours solaires produits localement. La semaine dernière, j’ai été les visiter et nous avons acheté un de ces fours : une caisse en bois sur pieds, bien isolée, revêtue à l’intérieur de tôle noires, surmontée par une double vitre et équipée d’un panneau réflecteur tapissé de papier aluminium… Ce week end, j’ai expérimenté la cuisson solaire dans ce four. Préchauffé au soleil et ré-orienté régulièrement pour profiter au maximum de l’ensoleillement, il m’a permis de cuire du poisson aux légumes, de la viande, de la soupe, de réchauffer des restes, de faire bouillir de l’eau… et même de cuire le pain préparé par Théresa, notre sœur coréenne qui, depuis son arrivée en septembre, nous régale par le pain fait maison (et dorénavant cuit par le soleil !).
En ce qui concerne mes activités, comme annoncé dans mon dernier message, j’ai animé deux sessions à destination des parents engagés dans les Associations de Parents, qui auront la charge de sensibiliser leurs pairs à « l’éducation sans chicotte »… et surtout à un mode parental fondé sur la qualité de relation, de respect, de dialogue, sans pour autant être dénué d’exigences et de règles !
Pour certains, ils s’agissaient d’une découverte : ayant été éduqués à la chicotte, ils reproduisaient l’éducation qu’ils ont reçue. Ils repartent avec la décision de regarder chacun de leurs enfants comme une personne unique, de prendre du temps pour parler avec chacun et de les responsabiliser.
J’ai été contactée par des élèves du Lycée Félix Eboué, le plus anciens et le plus grands lycée du Tchad (6000 élèves !) pour les aider à lancer un « Club des bâtisseurs de paix » au sein du Lycée. L’initiative est venue d’élèves que j’ai formés l’année dernière au Centre Emmanuel et qui m’ont sollicitée pour que je les soutienne et forme les membres de ce club. Samedi avait lieu une première rencontre de sensibilisation à laquelle assistaient environ 70 élèves qui se montrent intéressés. J’espère qu’une partie d’entre eux s’engagera. Ce qui me réjouit, c’est la « mixité » des participants, non seulement filles et garçons, mais aussi chrétiens et musulmans, nordistes et sudistes. Chaque fois que des rencontres peuvent avoir lieu des préjugés mutuels tombent. Je l’ai vécu la semaine dernière avec des parents de N’Djaména et de Mongo. C’est une joie pour chacun de découvrir que l’autre composante a autant le désir de la paix, aspire à la rencontre et au développement du pays. Sans doute, cela n’est pas général : de tous côtés, il y a des exclusions mutuelles et des rancœurs tenaces… Mais lorsque les gens se rencontrent et se parlent de personne à personne, les murs tombent et la paix progresse ! Je vérifie dans l’expérience la pertinence de la démarche de l’IFHIM de défaire des murs et de construire des ponts, par décision, est un chemin de paix et aussi la décision d’ouverture de voir chaque personne comme une personne unique, par delà toutes ses appartenances.
La semaine à venir, je vais me consacrer à la formation d’un deuxième groupe de chefs d’établissements du secondaire et coordinateurs de l’éducation à la paix : 6 jours de formation matin et après-midi… par une température variant entre 30 et 40°C : Mon défi sera de prendre les moyens de tenir le coup et d’aider les participants aussi à rester en forme !

 Mardi 22 novembre 2011

Dans mon dernier message je mentionnais la session encore à venir de la seconde moitié des chefs d’établissement secondaire du Tchad et des coordinateurs pour l’éducation à la paix (j’ai formé un premier groupe en septembre à Moundou). Cette session s’est vraiment bien passée, même s’il est beaucoup plus confortable d’animer des sessions en dehors de N’Djaména, car dans la capitale, les sessionnistes sont partagés entre la session et la famille, et les démarches administratives complexes… De plus le mois dernier a été perturbé par des grèves des fonctionnaires qui réclament des augmentations (les salaires n’ont pas évolué depuis de nombreuses années tandis que le coût de la vie ne cesse de grimper). Après cette session, j’ai disposé de trois jours avant de repartir dans le Sud du Tchad, à Doba, où se sont déroulées successivement la réunion bilan des responsables du primaire, une session (que j’animais, je vais y revenir) sur « la saisie des impacts et effets du projet d’éducation à la paix » puis la réunion bilan des chefs d’établissements du secondaire. Les réunions bilans sont des temps de partage des préoccupations et activités de tous les diocèses. Sont évoqués les problèmes financiers (quasi inextricables) et la recherche de sources de financement, les difficultés d’affectation ou de recrutement des enseignants, le niveau des élèves, etc… et le projet d’éducation à la paix. Les échos pour ce dernier sont très positifs.
Lors de la session que je viens de mentionner, je devais présenter des outils qui permettent de mesurer les effets et impacts de notre action en faveur de la paix. Ce n’est pas simple de mesurer des changements de comportement, puisque c’est cela que le projet vise. Pourtant Misereor, l’organisme allemand qui finance généreusement le projet, est très attaché à connaître le retour sur investissement des aides accordées. J’ai proposé et nous avons travaillé sur plusieurs manières d’appréhender l’atteinte des objectifs (et des indicateurs) formulés. En rédigeant le document du projet pour Misereor, j’avais défini trois indicateurs majeurs : augmentation des comportements pacifiques, diminution des comportements violents et disparition des châtiments corporels. Le travail de psycho que j’ai effectué il y a quelques années sur la violence et l’hostilité en milieu scolaire m’ont bien aidée à préparer cette session.
Depuis mon retour de Doba, j’ai mis au point les documents qui rendent compte des contenus de session (pour Misereor), les documents issus de la session de Doba pour qu’elle soit suivie d’effet, et continué à réfléchir a de nouveaux outils qui pourront être utilisés après mon départ. J’ai déjà bien avancé sur un livret pour les médiateurs que nous auront formés. Je voudrai produire un manuel présentant une exploitation pédagogique de contes à teneur éducative et un autre avec des séances de classe destinées à promouvoir des compétences relatives à la paix, adaptées à chaque niveau de classe. Je mettrais cela au point au second trimestre de cette année.
Il y a deux semaines, j’ai été invitée par un des parents d’élèves présent à la session de N’Djaména à participer à une émission de télévision « Tchad-Presse ». La personne invitée est questionnée par l’animateur principal (le parent d’élève) et par deux journalistes, sur un thème donné… La semaine précédente, c’était le Ministre du commerce et de l’industrie qui répondait à l’épineuse question du prix du pétrole : une raffinerie du pétrole Tchadien vient d’être construite par des Chinois et le prix du carburant reste beaucoup trop élevé aux yeux des consommateurs… Pour ma part, j’étais invitée sur le thème de l’éducation à la paix, avec une forte insistance sur la suppression de la chicotte : « une éducation sans chicotte, est-ce possible ? ». Je ne sais pas si cette émission a eu une grande audience (compte tenu du faible taux de quartier desservi par l’électricité j’en doute) : toutefois, le lendemain, notre voisin est venu me féliciter et me parler de ses enfants ! Et plusieurs autres personnes m’ont parlé de l’émission de manière très positive. Un professeur d’un Institut privé m’a demandé quand je donnais la prochaine formation !
Dans mes activités de ces derniers jours figurent l’alphabétisation de notre gardien, André. Il a été en classe jusqu’en… CP ! Il connait le nom des lettres et sait les écrire. Je cherche avec les outils (pauvres) dont je dispose à lui apprendre à lire en associant le déchiffrage et l’appréhension globale de certains mots… Je compose des phrases à sa portée, en m’appuyant sur ses centres d’intérêt (sa famille, son travail, son village, le vélo qu’il vient d’acquérir), pour qu’il ait la satisfaction de lire. C’est une joie pour moi (et pour lui) de le voir progresser… lentement, mais sûrement !
Jeudi je pars à Bitkine pour co-animer deux sessions avec les responsables éducatifs du collège et d’autres établissements de la ville qu’ils ont invités, pour les enseignants d’une part et les ambassadeurs de paix d’autre part. Je vais rester une grosse semaine, je reviendrai trois jours à N’Djaména, avec le 3 décembre, la fête de St François Xavier : nous prendrons un temps convivial avec la communauté des Xavières, nos « cousines ». Je repartirai alors pour le Sud (Kélo-Djoumane-Kélo) pour co-animer là aussi des formations pour les enseignants et ambassadeurs de paix de plusieurs écoles et collège. Le principe de ces formations c’est de co-animer avec des personnes que j’ai déjà formé pour leur permettre de s’approprier les outils donnés en situation de formation.
Ce week end, nous sommes parties avec Théresa (c’était sa première sortie hors de N’Djaména) et Brigitte en direction du Lac Tchad, que nous n’avons pas vu : ce sera pour une prochaine fois. Deux jours de détente et de farniente (autour d’une piscine) dans un pays qui offre peu de ressources dans ce domaine. Le dimanche matin, nous avons eu une célébration très émouvante, animée par un animateur pastoral venu de N’Djaména pour la communauté locale dans une petite chapelle dénuée de tout… une vraie fête du Christ Roi de l’Univers, venu dans l’humilité et la proximité discrète rejoindre notre humanité loin des signes du  règne des rois de ce monde !
Du point de vue du climat, la sécheresse est maintenant bien établie (plus une goutte de pluie depuis presque deux mois) ; la fraicheur arrive… si les journées s’élèvent encore à 35 ou 37°, les nuits sont agréables avec un début vers 28° et une fin, au petit matin autour de 22°… Je mets un drap sur moi, voire deux, alors que depuis mon retour, je n’utilisais que celui du dessous !
Du côté des photos, j’ai mis en ligne quelques photos de mon voyage à Doba (cliquer ici) et quelques autres du week end à Douguia (cliquer ici) !

Dimanche 1° Janvier 2012 : Bonne année!

En ce premier jour de l’année, je viens souhaiter à tous et toutes et chacun ou chacune une année de paix et de relations interhumaines heureuses… LAPIA, SALAM, NLEWA, MELOM, DJAM, KOUKI, WOSIE, KALA… tels sont les mots qui disent la paix en différentes langues parlées au Tchad et qui me servent pour formuler mes vœux… En guise de carte de vœux, je vous invite à cliquer sur ce lien pour découvrir des visages qui vous en diront plus que moi sur la beauté et la diversité de l’humanité qui a soif de paix et d’amour !
Le temps qui vient de s'écouler a été marqué par la visite de la responsable de la Communauté, Marie-José. Un moment de rassemblement et d'échanges fraternels qui relie la petite communauté St François Xavier qui est à N'Djaména à l'ensemble de la Communauté. Temps de vacances aussi, et pour moi, temps plus stable à N'Djaména, alors que j'en ai été absente presque tout le mois de décembre.
Je suis heureuse de semer largement, le plus largement possible, sans pour autant m’imaginer que tous les grains vont porter du fruit, en partageant de l’intérieur quelque chose des sentiments du Semeur de la parabole qui jette ses graines sans compter… Je méditais l’autre jour sur le projet de Dieu, projet d’amour et de paix, et je crois que, toutes proportions gardées, tous nos projets humains qui vont dans le sens de son projet d’amour et de paix nous font vivre la gratuité de son engagement, et des joies et des tristesses sans doute proches des siennes devant l’accueil et la transformation qui s’ensuit ou les résistances et ambigüités qui subsistent. Dans la première catégorie, je peux nommer l’accueil fait à la démarche de la paix dans toutes les formations que j’ai données tout au long de ce trimestre. Par exemple avec les adultes, je les aide à s’engager dans le travail au service de la paix en leur faisant chercher le moment, la situation ou l’expérience par laquelle ils ont pris conscience de l’importance de la paix pour eux. Ici, au Tchad, ce sont le plus souvent des situations liées à la guerre dont je réalise l’étendue, la durée et les atrocités, parfois des événements familiaux de brutalité ou des déchirements dans le voisinage, plus rarement la prise de conscience de la violence qui est en soi… Faire mémoire de ces événements à tonalité douloureuse constitue un aiguillon fort pour travailler à la paix. Cependant, je ne les laisse pas séjourner dans le souvenir pénible assorti du sentiment d’impuissance qui porte souvent la marque d’un traumatisme mais les achemine immédiatement après vers la prise de conscience heureuse et stimulante qu’ils sont déjà artisans de paix : je les invite à se partager mutuellement une expérience où ils ont fait grandir la paix, en les orientant de préférence dans leur famille ou dans la vie de leur quartier, sans regarder d’abord leur rôle dans l’école. Ces deux premières étapes de chaque formation enracinent la décision de chacun de bâtir la paix. Le projet de l’enseignement Catholique relatif à la paix devient leur projet.  Lors de chaque formation, d’un jour à l’autre, j’envoie les participants en mission de paix : occasion d’un engagement démontré dans des expériences toutes simples mais réellement vécues de gestes de paix, de ponts construits : merveilleuses réconciliations, services rendus, nouvelles attitudes expérimentées. Au retour, les personnes partagent ce quelles ont fait et vécu et je leur fais nommer la joie et la légèreté intérieure qu’elles vivent alors…
Du côté des ambiguïtés qui me gênent, je peux nommer, lors de certaines sessions, le versement de ce qu’on appelle ici les « per diem », cette somme d’argent versée au terme de la session qui vient défaire une partie du travail que j’ai effectué. En effet, comme je viens de l’exposer, je travaille avec chaque groupe l’objectif et le sens de la paix… et l’intéressement financier vient dévier au moins partiellement la gratuité de l’engagement demandé. Dans certaines sessions comme à Bitkine où j’étais fin novembre, non seulement les sessionistes (Equipe du collège Joséphine Bakhita au complet, Inspecteurs de l’éducation Nationale, proviseur du Lycée et Directeur du CEG publics, animateurs des églises catholiques et protestantes de Bitkine). n’étaient pas payés pour assister à la session, mais chacun a contribué à financer les repas que nous prenions en commun. Il est donc possible de motiver les gens pour la paix sans leur verser d’argent ! Mais il est difficile de faire changer des mentalités qui ont lié dans beaucoup d’endroits du Tchad le fait d’être payé pour suivre une formation… Heureusement, cette ambigüité ne se trouve pas au niveau des élèves formés pour être « ambassadeurs de paix »… A partir d’une parabole d’origine amérindienne adaptée (le loup est transformé en lion), nous les amenons à décider de nourrir le « lion pacifique » qui est en chacun au détriment du « lion violent » qui perd alors de sa force… Ils accueillent ensuite tout l’itinéraire de formation interactive avec joie et engagement. Et les témoignages des personnes qui les côtoient pendant et après la formation (parents, enseignants) manifestent que pour la plupart d’entre eux, la transformation est durable.
Pour ne pas alourdir ce message, je ne décris pas les différents éléments de la mise en place du projet qui touche l’ensemble des écoles catholiques du Tchad. Je viens de rédiger une sorte de synthèse que vous pouvez consulter dans le message situé juste en dessous de celui-ci : vous verrez qu’il s’agit d’un véritable plan d’action en profondeur, incluant une concertation stratégique de tous les acteurs (selon la belle expression employée à l’IFHIM).
Justement, je tiens à souligner une fois encore, par souci éthique, combien je puise dans ma formation à l’IFHIM (Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal) et dans les démarches proposées par cet Institut au service de « l’humanisation de l’humanité ». Actuellement, prenant appui sur le modèle du protocole de Kyoto, la Directrice de l’IFHIM invite « à sensibiliser à l’urgence d’un (…) protocole d’amour de la personne humaine, un protocole qui invite à la construction des ponts entre les personnes, un protocole qui appelle à la concertation pour que l’amour sans exclusion ait une place de choix sur la terre. » (Vœux de Noël 2011 de Marie-Marcelle Desmarais). Je ne peux que souscrire à ce besoin de rassembler le plus de personnes possibles autour de cet engagement si essentiel pour la survie de la planète et de l’humanité. C'est aussi l'appel de Benoit XVI qui invite à éduquer à la justice et à la paix. Qui que nous soyons, rassemblons-nous autour de cette valeur de la paix qui n'a pas de frontière, de religion, de race...

Dimanche 4 mars 2012

Je suis actuellement à Mongo, dans l’Est du Tchad, entre deux sessions, l’une qui commence demain à Dadouar pour les ambassadeurs de paix de deux écoles et l’autre qui s’est achevée hier à Am Timan, pour les enseignants d’une école catholique avec aussi des enseignants de 15 écoles publiques de la ville. Cette session dite de « niveau 1 » visait à aider les enseignants à choisir de devenir consciemment des personnes de paix, en s’adressant à eux d’abord comme des époux/ses, des parents, habitants d’un quartier, citoyens et non seulement comme des enseignants. Je propose un itinéraire que je co-anime avec l’inspecteur diocésain du Diocèse et le conseiller, et aussi depuis début février avec le formateur qui devrait me remplacer après mon départ du Tchad. Mon objectif avec eux c’est, après leur avoir fait vivre la démarche pour eux-mêmes, de les accompagner dans la transmission aux enseignants. Ce n’est pas toujours simple, car la formation, ici comme souvent ailleurs, consiste surtout en des discours. Aussi, je m’efforce de les orienter vers la relecture des activités et situations que nous faisons vivre aux participants pour qu’ils fassent des prises de conscience et aillent d’abord chercher eux-mêmes dans leur expérience des chemins de paix. J’ai déjà décrit précédemment un peu l’itinéraire des débuts de session : nommer la situation ou un événement qui m’a fait prendre conscience de l’importance de la paix pour moi ; partager aussitôt après une expérience dans laquelle j’ai permis à la paix de grandir, dans laquelle j’ai été bâtisseur de paix. Ensuite à partir d’une parabole des deux lions (adaptée d’un conte amérindien des deux loups), chacun est invité à décider de « nourrir » la partie de lui qui veut la paix : tous, nous avons en nous-mêmes deux parties qui s’opposent, une partie pacifique et une partie violente. Selon les gestes et les actions que nous posons, nous renforçons l’une ou l’autre de ces parties. Pour rendre cela concret et consolider la décision de choisir la partie pacifique de soi, nous établissons avec les participants une liste des verbes d’action qui représentent la nourriture de chacun des deux lions (pacifique ou violent). Ensuite nous parlons de la colère qui paralyse la partie pacifique de nous-mêmes. Je fais nommer les conséquences de la colère sur les relations. Les gens reconnaissent que lorsque des situations nous contrarient, nous nous tendons, notre ouverture se resserre et notre vision des autres se déforme et si nous ne la gérons pas, la colère nous amène à faire ou dire des choses que nous regrettons ensuite. Ensuite, chacun, repensant à la dernière fois où il s’est mis en colère, partage les signes physiques qu’il a ressentis alors. Nous expérimentons des moyens physiques pour déloger ces signes physiques et refaire de l’espace en soi. Ensuite nous travaillons l’ouverture (un autre nom de l’amour) en regardant quelques visages de l’ouverture en lien avec la paix : traiter chaque personne comme une personne et non comme un objet ou une chose, voir chaque personne comme une personne unique et se comporter envers les autres comme nous aimons que les autres se comportent vis-à-vis de nous… C’est l’occasion de porter un regard sur la vie quotidienne. Le premier point donne lieu à des prises de conscience sur les manières de mépriser ou de minimiser les autres, particulièrement les femmes, ce qui est assez répandu dans certains milieux du Tchad. J’aborde dans ce cadre la question de la femme comme objet sexuel à partir de l’histoire de Jean, ce québécois qui a pris conscience lors d’une formation à l’IFHIM qu’il aimait sa femme, mais que dans le domaine de la sexualité, il la traitait comme un objet. Son itinéraire de changement aide les tchadiens à envisager des moyens pour aborder ces moments d’intimité dans l’ouverture mutuelle. Je complète aussi leurs apports par une observation faite dans le Sud. En décembre, j’ai passé une semaine pour une formation de deux écoles dans un village. Nous étions nourris par les femmes des enseignants. Traditionnellement, les femmes ou les jeunes filles viennent apporter de l’eau avec une cuvette, une sakane (bouilloire en plastique) et du savon pour permettre de laver les mains en début du repas, puisque nous mangeons tous avec les mains, dans le même plat. Les convives présentent leurs mains et les femmes ou jeunes filles laissent couler l’eau, présentent le savon et permettent ensuite le rinçage. Ce très beau geste de service m’évoque à chaque fois le lavement des pieds de l’évangile… Pour ma part, je remercie à chaque fois la fillette ou la femme qui me l’a rendu et reçois en retour un beau sourire qui réchauffe le cœur. J’ai fait prendre conscience aux participants que bien souvent, ils n’accordaient pas même un regard à ces personnes qui les servaient. Il ne viendrait à personne de remercier un robinet ou une pompe qui donne de l’eau…. Ils rient lorsque je dis que les femmes ne sont pas des robinets ! Mais j’observe ensuite des changements. Et certains lors des retours des missions de paix qu’ils accomplissent le soir des formations témoignent de gestes qu’ils ont accomplis envers leur femmes (Il faut dire que le public des enseignants est essentiellement masculin : je suis souvent la seule femme de l’assemblée !!!). Un homme, lors d’une session précédente, a été applaudi chaleureusement car le soir, il avait invité sa femme à rester couchée plus longtemps le lendemain matin, car il allait se charger de faire chauffer l’eau pour la « douche » des enfants et le « café » (en fait il n’y a ni douche ni café, mais des seaux d’eau et du thé fortement sucré…). Sa femme le matin lui a dit qu’il était un mari « exceptionnel »… ce qui est d’autant plus marquant que cet homme est non seulement musulman mais marabout. Bien d’autres témoignent de paroles de reconnaissance ou de beaux gestes à l’endroit de leurs épouses toutes surprises et heureuses !
La démarche qui est celle des murs qui menacent la paix. Les participants sont invités à nommer les préjugés de leur milieu et ensemble nous cassons ces préjugés en nommant des personnes du groupe concerné qui ne répondent pas aux qualificatifs attribués à leur groupe, et en défaisant la globalisation pour aider chacun à regarder chaque personne dans son unicité… Les missions de paix vont aussi dans ce sens de détruire des murs (défaire des préjugés) pour construire des ponts : aller par décision, parce que je veux la paix, à la rencontre d’une autre personne vers qui je n’irai pas spontanément. En fait, c’est surtout des réconciliations ou des pardons que les gens font alors. A Koumra où j’étais il y a 10 jours, la petite ville a été marquée par ces démarches liées à notre session. Le curé en a eu des échos !
Dans la suite de la session niveau 1 avec les enseignants (l’itinéraire est le même pour les élèves ambassadeurs de paix, avec une adaptation pour leur âge), nous travaillons le phénomène de la rumeur et l’importance de revenir à la source des informations, avec le jeu du bouche à oreilles : une information toute simple colportée successivement par plusieurs personnes est inévitablement déformée et même totalement transformée, ce qui en période de trouble peut engendrer des drames…
Nous travaillons aussi les points de vue à partir d’images, de la parabole des aveugles et de l’éléphant, et de l’expérience des personnes. Chacun peut avoir son point de vue : l’essentiel est de s’accueillir mutuellement pour s’enrichir du point de vue de l’autre pour élargir sa vision propre. Ensuite nous donnons des moyens de résoudre un conflit sans violence et enfin je propose des repères et des exercices concrets pour s’affirmer pacifiquement dans une situation frustrante : après s’être calmé, nommer le fait qui me dérange, dire ce que cela me fait vivre, ce que je ressens, et enfin, énoncer ce dont j’ai besoin pour me sentir à l’aise.
Au terme de ces sessions qui durent seulement deux ou trois jours, les gens sortent heureux d’avoir acquis des outils pour vivre en paix. Les témoignages qui suivent montrent qu’il y a des changements durables pour beaucoup…
Ces sessions sont pour moi l’occasion de découvrir en profondeur le Tchad, puisque le plus souvent je partage le vie des inspecteurs et conseillers qui co-animent avec moi : logement dans les écoles ou les paroisses de brousse, souvent sans électricité, sans eau courante, avec la nourriture locale… et des milliers de kilomètres sur des routes goudronnées dont certains sont très abimées ou sur des pistes plus ou moins entretenues. Parfois je loge aussi dans des communautés religieuses ou les évêchés, occasion de rencontrer des femmes et des hommes engagés de différents manières au service de ce pays.
Les sessions niveau 2 que j’ai déjà données plusieurs fois sont aussi très riches. Elles sont plus pédagogiques, orientées vers l’acquisition d’outils pour conduire la classe sans chicotte. Je prépare un livret sur l’exploitation pédagogique de contes éducatifs autour des compétences de paix. J’en ai déjà expérimenté avec l’aide de quelques enseignants de N’Djaména. Ce livret constituera la base de la formation de niveau 3 pour que les enseignants forment à la paix dans le cadre même des cours.
Toute l’expérience que j’ai accumulée lors de l’animation de ces sessions au cours desquelles j’apprends beaucoup, puisqu’elles sont fondées sur l’expérience des participant m’a aidée à mûrir et nourrir le parcours de la retraite diocésaine de carême pour N’Djaména. L’archevêque m’a demandé ma contribution sur le thème de la purification de la mémoire, thème qui s’inscrit dans la ligne de la paix et de la réconciliation entre Tchadiens, en commençant par les chrétiens catholiques. J’ai eu à retravailler une première version du texte et à présenter la version finale de cette retraite aux prêtres du diocèse de N’Djaména et aux laïcs qui participeront à son animation. La démarche est articulée en trois temps : la mémoire collective et la purification des préjugés hérités de l’histoire ; la mémoire individuelle avec la purification de toute forme de ressentiment liée à des blessures du passé ; et la purification de la mémoire enracinée dans la reconnaissance de la responsabilité et des fautes personnelles et collectives nécessaires pour sortir de la posture de victime et devenir créateur d’un présent et d’un a-venir nouveaux. Il me semble que cette démarche pourrait faire avancer la paix entre les chrétiens catholiques entre eux, mais aussi avec les autres communautés. Je m’efforce de vivre personnellement cette démarche, source de liberté et garantie de relations apaisées et suis prête à envoyer le texte à ceux et celles qui m’en feront la demande.

Lundi 9 avril 2012  Bonne fête de Pâques !

Dans certains pays, Pâques est marqué par la sortie de l’hiver et l’avènement du Printemps, la vie renait, l’espérance est visible dans la nature… Mais ici, cet événement de la vie plus forte n’est vraiment pas célébrée par la nature… et me voici une fois encore en train de parler du climat… tellement il est difficile de s’abstraire des 45°C que marque le thermomètre situé à l’ombre de mon balcon, de la poussière que le moindre souffle d’air soulève en raison de l’absence totale de pluies depuis le mois d’octobre (ce qui est habituel… et non le signe d’une anormale sécheresse)… Inimaginable tant qu’on ne le vis pas !!!
Je ne vais cependant pas consacrer tout ce message aux considérations climatologiques. Je ne vais pas non plus parler aujourd'hui de mon action au service de la paix que j’ai évoqué pratiquement dans chacun des messages. Je voudrai donner quelques flashs de rencontres variées faites ces derniers mois au fil des mes voyages dans le pays. Des signes de la résurrection que nous célébrions ces jours-ci, à l’œuvre dans notre monde…
J’ai particulièrement aimé mon séjour à Dadouar (à l’Est de N’Djaména, dans le Diocèse de Mongo). Je logeais chez les sœurs Missionnaires du Christ Jésus, une communauté composée d’une Chilienne, d’une Vénézuélienne et d’une Espagnole. Ces sœurs qui sont nouvellement implantées, depuis le 3 décembre à Dadouar m’ont accueillie fraternellement et j’ai pu profiter des bons contacts qu’elles ont avec la population de ce village. Après la formation, en fin d’après-midi, je me suis promenée et ai pu avoir des échanges avec des habitants. Je garde mémoire de deux petites filles qui allaient puiser de l’eau et qui m’ont partagé quelque chose de leur vie au village. Je les ai aidées modestement en portant l’outre qui sert à puiser, sans me risquer à prendre les canaris que j’aurai eu peur de renverser. En ce qui quittant la plus jeune des deux filles m’a remerciée… avec un beau sourire que je conserve comme un beau cadeau. Un autre jour, c’est David, Madeleine, un élève de CM2 qui m’a amené chez lui après quelques échanges très simples sur sa vie. Sa maman a préparé le thé pour moi, et j’ai longuement bavardé avec sa sœur, malade depuis 8 mois, sans bien savoir de quoi. Entre temps elle a donné naissance à une petite fille qui a du coup la chance d’avoir sa mère pour elle toute seule… La qualité de relation entre la mère et sa petite fille était belle à voir. A Dadouar, depuis on ne sait quand, a lieu le transfert d’une maison de chrétien à l’autre d’une « croix pèlerine ». Occasion pour les chrétiens du village de se retrouver et de prier ensemble pour les habitants de la concession qui accueille la Croix pour 24h. De grands jeunes animaient la prière. J’ai aimé cette dévotion sous les étoiles.
J’ai eu l’occasion d’entrer dans la cour familiale de Service qui m’a accueilli chez lui à plusieurs reprises au retour de nos voyages dans le Sud. Service est le formateur qui vient d’intégrer la DINEC (Direction Nationale de l’Enseignement Catholique) et qui poursuivra la tâche que je vais laisser. C’était la première fois que je pénétrais au cœur d’une concession pour y demeurer. J’ai souvent été invitée chez les uns ou les autres pour des repas, mais dans ces cas, nous restons à l’extérieur de la maison, ou dans la cour. D’ailleurs, chez Service, comme ailleurs, la femme et les enfants ne mangent pas avec les invités…
Je voudrai rendre témoignage à l’hospitalité des communautés missionnaires chez qui j’ai trouvé une fraternité bienfaisante. Je pense en particulier aux sœurs Mexicaines de Kélo. En allant à Goré, mon dernier voyage en date, nous avons connu un problème de rupture de courroie du ventilateur du moteur. Trois heures de réparation qui nous ont évidemment retardés. Arrivant à Kélo pour déposer du courrier, les sœurs que j’avais déjà rencontrées et appréciées lors de voyages antérieurs nous ont invités à déjeuner, nous faisant manger ce qu’elles avaient préparé pour leur diner… Halte bienfaisante avec la reprise de la route.
Dans le cadre des déplacements parfois en lien avec les formations et parfois indépendamment, j’ai pu mesurer les événements traumatiques vécus par les Tchadiens au cours des quarante dernières années. Occasion pour moi de mettre en œuvre sous forme d’intervention ponctuelle la démarche de restauration des forces dans les expériences traumatiques acquises à l’IFHIM et expérimentée en Haïti. Un homme, un cadre, habitant N’Djaména avait mis de côté de l’argent en vue d’acheter un terrain afin de construire une maison pour ces enfants. Malheureusement, Il a découvert trop tard qu’il avait été floué autant par le vendeur et les services du cadastre : il avait tout perdu. Depuis deux ans, il ne dormait plus, faisait des cauchemars et déprimait Je l’ai interrogé sur ses moyens de détente : il m’a dit qu’avant il courrait parfois et que cela lui faisait du bien, mais que depuis l’événement de son terrain, il avait arrêté. Je l’ai questionné sur l’objectif qu’il poursuivait en achetant le terrain. Il m’a répondu sans hésiter, le bonheur de ses enfants. - Et maintenant, en revenant sans cesse sur la tristesse de s’être fait voler, faisait-il le bonheur de ses enfants ? - Non, au contraire, sa femme et ses enfants s’inquiètent beaucoup de son état et l’invitent à tourner la page. Pour terminer je lui ai demandé si reprendre la course pouvait l’aider, il m’a dit qu’il allait le faire… Il m’a quitté avec une autre lumière dans les yeux et un bon sourire.
Une des personnes, un homme ouvert, avec qui je travaille dans le cadre de la formation à la paix, me partageai l’expérience suivante qui remonte à 1979 alors qu’il était enfant,  mais dont il restait encore fortement marqué aujourd’hui. Il habitait au Quartier Dogou à Sarh. C’était le moment où le pays se déchirait entre Nord et Sud, Musulmans et Chrétiens. Il a vu un musulman voulait partir vers le fleuve avec son carquois. Un voisin forgeron lui a dit « tu ne passes pas ! » Et il lui a envoyé une flèche dans la cuisse. Le musulman a continué à marcher tout en tournant pour enlever la flèche. A la même période, un autre musulman qui fuyait avec son enfant a demandé de l’eau à son père. Les gens du village voulaient le tuer. Mon père les a laissé entrer et nous leur avons donné de l’eau. L’enfant a bu. Dès qu’ils sont sortis, les gens les ont tués. Il restait évidemment marqué par ses images. Je l’ai aidé à se centrer sur l’acte de son père, acte dont il était fier et avec lequel il était lui-même en total accord… et à différencier ce qui dépendait de son père et de lui-même qui ont donné à boire et de ce qui dépendait des autres… La aussi, cet homme a changé de visage en se détournant des images de mort et en choisissant de conserver que ce musulman et cet enfant ont reçu avec l’eau l’amour concret de son père et de lui-même… Les deux pères et leurs deux enfants sont frères pour l’éternité. Voilà la véritable histoire du monde, celle des gestes d’amour qui seuls demeurent pour toujours : une autre façon de parler de la résurrection en marche.

Mercredi 2 mai : derniers jours au Tchad

Comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, mon séjour et ma mission au Tchad étaient prévus pour une durée limitée. Et le temps se fait maintenant court : je commence à compter les jours… En effet, je quitte le Tchad le 15 mai et arrive en France le 16. Tout en disant peu à peu au revoir aux personnes que je vais quitter et avant de faire mes valises, j’essaie de terminer les travaux en cours : transmission à mon « successeur » pour le projet d’éducation à la paix, achèvement du recueil de contes et du livre du maître qui propose leur exploitation pédagogique dans le la paix.
J’ai été heureuse de travailler pour la paix dans ce pays qui a traversé tant d’épreuves. Je suis heureuse aussi de le quitter. Pas seulement parce que la température y est difficilement supportable quand on n’est pas né dedans, et même alors, particulièrement pendant la période qui va d’avril à juin… Je vais échapper à 1 mois et demi de chaleur torride ! Je suis heureuse surtout de remettre la suite de l’éducation à la paix aux Tchadiens. J’ai formé beaucoup de monde : en faisant le compte cela fait un total de 109 Formateurs et encadreurs (qui doivent eux-mêmes former 1200 enseignants et 1400 ambassadeurs), 449 enseignants et 578 élèves Ambassadeurs de paix, avec une démultiplication conçue pour toucher les 42000 élèves des établissements catholiques du pays. J’ai conçu et édité plusieurs outils : 4 livrets de formation des ambassadeurs de paix et des ambassadeurs médiateurs de paix, un fascicule intitulé « des outils pour conduire la classe dans la paix », un fascicule de présentation de 3 modules de formation d’enseignants du primaire et du secondaire à la paix, et les deux derniers ouvrages que j’ai évoqué plus haut. Certains de ces outils se trouvent sur les bureaux des Ministres de l’Éducation Nationale primaire et secondaire. Maintenant, il appartient aux Tchadiens eux-mêmes de prendre la relève avec leur façon de faire à eux… et avec l’engagement qui sera le leur. J’ai rencontré et formé des hommes et des femmes de paix, des personnes qui la veulent et y travaillent… Mais j’ai déjà évoqué et déploré que l’intérêt de beaucoup pour ce projet de paix semble fortement relié aux gains financiers qu’ils en retirent (les per diem, cette somme versée lors des formations).
Dans quelques jours, je quitterai ce pays, partagée entre l’optimisme et l’inquiétude. En parcourant ces jours-ci les rues de N’Djaména je me rappelais les images du début de mon séjour il y a 20 mois : la différence et le progrès sont frappants (plus encore, si je compare à celles de mon passage en décembre 2001). Le nombre de rues goudronnées a fortement augmenté ; la Place de l’Indépendance avec son arche et ses statues et plusieurs ronds points ont belle figure (des images figurent sur ce blog) ; des bâtiments administratifs somptueux rénovés, neufs ou construction, des villas luxueuses, les stations à essence et les mini grandes surfaces modernes et climatisées se sont multipliées… Tout cela semble montrer que l’argent du pétrole contribue au développement du pays. Cependant ce développement est limité au centre ville et à certains quartiers aisés de N’Djaména… et aux seules infrastructures. Le président Idriss Déby Itno veut faire de N’Djaména la vitrine de l’Afrique, et il s’agit vraiment d’une vitrine. L’arrière boutique n’est pas à la hauteur ! Je suis soucieuse (et pas seulement moi !) du niveau scolaire des élèves et étudiants et, ce qui est plus grave encore, de celui des enseignants. Le système scolaire est gravement malade. Il est rare de trouver des maîtres ou maîtresses du primaire engagés et compétents. J’ai travaillé pour installer une culture de la paix dans les écoles. Je me suis parfois dit et ai dit à ceux que je formais qu’il y avait urgence à instaurer aussi (et peut-être d’abord) une culture du travail et du travail bien fait, honnêtement, de manière désintéressée (c'est-à-dire gratuite)… Les affaires de détournement de fonds ou de corruption sont nombreuses et ont augmentées semblent-il depuis que l’argent du pétrole a apporté de la richesse au pays : presque tout le monde est affecté et il est difficile d’y échapper. Sans parler des grosses affaires de plusieurs milliards, la vie ordinaire en est émaillée. Les dossiers administratifs restent bloqués sous des piles d’autres dossiers tant qu’un « geste » n’a pas été fait en direction du fonctionnaire… Le policier qui vous arrête vous laisse partir si vous vous « arrangez », en lui versant 5 000F CFA, là où l’amende officielle est de 30 000F. Heureusement, je n’ai pas été personnellement confrontée au problème, car ma mobylette n’attire pas la convoitise !
En bref, je quitte le pays, heureuse d’y avoir travaillé, d’avoir semé largement des graines pour la paix, d’avoir rencontré des gens agréables, accueillants et sympathiques… Mais je quitte le pays certaine aussi que l’avenir du Tchad (comme, toute proportion gardée, la fécondité de mon action) est entre les mains des Tchadiens et qu’il leur appartient de faire croître les graines de la paix ou à les laisser étouffer et périr…
Évidemment, tant du point de vue climatique que métaphorique, je souhaite que des fleurs, des arbres et des arbustes nombreux revêtent cette terre et fassent reculer le désert qui a tant avancé ces dernières années…